ψ  = psi grec, résumé 
                                de Ps ychanalyse 
                                et i déologie. Le NON                                de ψ [Psi]  LE TEMPS 
                                DU NON s'adresse à l'idéologie 
                                qui, quand elle prend sa source dans l'ignorance 
                                délibérée, 
                                est l'antonyme de la réflexion, de la raison, 
                                de l'intelligence.
ø
Le livre qui dresse le portrait d'Eichmann
      
sous les traits du Mal, mais pas
  banal
  
par
  
Jennifer Schuessler
  
New York Times sept.
  2., 2014
  
   
Cf. aussi en
  anglais :
  
http://www.nytimes.com/2014/09/03/books/book-portrays-eichmann-as-evil-but-not-banal.html?_
  
  
et
  
http://juger-eichmann.memorialdelashoah.org/annexes/les-acteurs-du-proces.html
  
   
   
Plus de 50 ans
  après sa publication, le « Eichmann à Jérusalem » de Hannah Arendt
  demeure durablement controversé, accumulant une longue liste de critiques qui
  continuent d’invalider sa description du criminel de guerre nazi Adolf Eichmann
  comme un modèle de “banalité du mal”, un bureaucrate non sanguinaire, quasi
  stupide, qui “n’avait pas conscience de ses agissements”.
  
Bettina Stangneth,
  l’auteur de « Eichman avant Jérusalem : La vie non analysée d’un
  meurtrier de masse », publié dans une traduction anglaise cette semaine
  par Alfred A. Knopf, n’a pas manqué de se joindre à ces critiques. Philosophe
  indépendante vivant à Hambourg, intéressée par la nature du mensonge, elle
  entreprit dans les années 2000 d’écrire une étude d’Eichmann, chef des questions
  juives sous le Troisième Reich, jugé en Israël en 1961, à la lumière du
  matériel découvert ces dernières décades.
  
C’est ainsi, en lisant
  parmi les abondants souvenirs et autres témoignages qu’Eichmann produisit alors
  qu’il se planquait en Argentine après la guerre, que Bettina Stangneth tomba
  sur une longue note écrite par lui et, défiant la philosophie morale d’Emmanuel
  Kant, qui allait à l’encontre du concept, par Arendt, de l’“incapacité de penser” d’Eichmann.
  
“Trois jours
  durant, je suis restée assise à mon bureau, à méditer cela”, dit Bettina
  Stangneth, lors d’une interview téléphonique à son domicile. “J’étais complètement
  choquée. Je ne pouvais croire que cet homme était capable d’écrire une chose
  pareille.”
  
Le livre de Bettina
  Stangneth fait état de ce document et d’une montagne d’autres pour montrer que
  ce que disent des chercheurs est irréfutable, à savoir qu’Eichmann, pendu en
  1962, n’était pas le fonctionnaire suiveur d’ordres dont il se revendiquait,
  mais un zélé fanatique national-socialiste.
  
Que des précédents
  chercheurs aient sérieusement ébréché l’argumentaire d’Arendt, Bettina
  Stangneth, elle, le fait “voler en éclat”, dit Deborah E. Lipstadt, historienne à l’Université Emory et auteur en 2011 d’un livre sur
  le procès Eichmann.
  
Les faits relatifs
  à Eichmann en Argentine furent diffusés au compte-goutte, “mais Bettina
  Stangneth, elle, met vraiment de la chair sur les os”, dit le Dr Lipstadt.
  
“Cet individu ne s’est
  pas contenté de n’accomplir que correctement un sale boulot, c’est au contraire
  quelqu’un qui a joué un rôle crucial et l’a fait avec un engagement sans réserve.”
  
Tout en maintenant
  que la prestation d'Eichmann à la barre a leurré Arendt, morte en 1975, Bettina
  Stangneth la considère, moins comme un repoussoir qu’en tant que collègue
  intellectuelle éminente.
  
“Mon projet n’était
  pas d’écrire un livre d’historienne, mais juste de contrer Arendt à partir de
  faits historiques”, dit Bettina Stangneth. “Pour comprendre un tel Eichmann,
  vous devez vous y mettre et penser selon lui. Et c’est cela, un travail de
  philosophe.”
  
« Eichmann
  avant Jérusalem », basé sur une recherche dans plus de 30 dossiers d’archives,
  contient suffisamment de faits probants, y compris cette révélation selon
  laquelle Eichmann, en 1956, rédigea une ébauche de lettre ouverte à l’intention
  du chancelier d’Allemagne de l’Ouest, Konrad Adenauer - une mine d’or découverte
  par Bettina Stangneth parmi les souvenirs d’Eichmann dans les archives d’État
  de la RFA - dans laquelle il se proposait de rentrer en Allemagne pour y passer
  en jugement.
  
Dans son livre,
  Bettina Stangneth décrit le réseau d’après-guerre, étonnamment déployé pour
  couvrir Eichmann, de même, la répugnance de hauts fonctionnaires ouest-allemands - qui savaient où était Eichmann bien avant 1952, selon les documents
  confidentiels publiés en 2011 par le tabloïd Bild - pour le porter, lui et
  d’autres anciens nazis, devant la justice.
  
De telles
  révélations firent les titres quand, en 2011, le livre de Bettina Stangneth
  parut en Allemagne, le 50e anniversaire du procès Eichmann contribuant
  à réactiver le débat à savoir : le gouvernement allemand d’après-guerre
  avait-il fait une rupture totale avec le passé ? (Le dossier de 3.400
  pages sur Eichmann conservé par les Services Secrets allemands, le BND, est
  aujourd’hui accessible.)
  
Mais l’épicentre de
  « Eichmann avant Jérusalem », traduit en anglais par Ruth Martin, est
  un portrait détaillé d’Eichmann, du cercle des anciens nazis et de son environnement
  de sympathisants nazis en Argentine, établi en grande partie sur des matériaux
  déjà disponibles aux chercheurs, mais jamais entièrement ou systématiquement exploités.
  
“Nous perdons un
  temps considérable à courir après des documents nouveaux, pourvu qu’ils soient
  spectaculaires”, dit-elle. “Nous ne nous sommes pas investis dans le matériel
  que nous possédons déjà, ni ne l’avons examiné attentivement.”
  
La documentation
  s’élève en une véritable montagne. Les dépositions d’Eichmann à Jérusalem se
  chiffrent par des milliers de pages de transcriptions, notes et textes
  manuscrits, sans compter les souvenirs qu’il produisit après le procès.
  
Bettina Stangneth,
  s’étayant du travail des chercheurs, collecta ce que l’on appela Journaux
  d’Argentine, un fatras de plus de 1.300 pages de souvenirs manuscrits, notes,
  transcriptions d’interviews secrètes d’Eichmann en 1957 avec Willem Sassen,
  journaliste hollandais et ancien nazi vivant à Buenos Aires.
  
Un embrouillamini
  de copies incomplètes des transcriptions de Sassen, disséminées dans trois
  dossiers d’archives allemandes, connues depuis longtemps par les chercheurs, furent
  présentées comme preuves, mais avec parcimonie, lors du procès Eichmann qui les
  récusa comme “racontars de pub”. (Deux brefs extraits parurent aussi dans Life
  Magazine.)
Bettina Stangneth
  découvrit des centaines de pages de transcriptions jusqu’alors inconnues dans des
  dossiers mal étiquetés. C’est ainsi qu’elle trouva la preuve que le cercle de
  Sassen comptait plus de gens que les chercheurs avaient jusqu’alors dénombrés,
  et parmi eux Ludolf von Alvensleben, ancien adjudant d’Heinrich Himmler, dont
  certains, a-t-elle constaté, étaient passés inaperçus.
  
 Ensemble, tels que les décrit Bettina
  Stangneth, ces hommes formaient une sorte de club du livre pervers lors de
  rencontres quasi hebdomadaires au domicile de Sassen, dans le but de faire
  émerger un récit de l’Holocauste pour le public, discutant chaque livre et
  article qui pouvaient leur tomber sous la main, y compris ceux rédigés par des
  auteurs “ennemis”. Leur objectif était de fournir les supports d’un livre qui
  démontrerait l’Holocauste en tant qu’exagération juive - “le mensonge des 6
  millions”, comme l’avait propagé une publication nazie d’après guerre en
  Argentine. Mais Eichmann avait un autre but, contradictoire : revendiquer
  sa place dans l’histoire.
  
Les faits et chiffres
  confirmant l’ampleur des tueries s’accumulèrent, pendant qu’Eichmann relatait
  les rigueurs de ce qu’il appelait (sans ironie, note Bettina Stangneth) son “emploi”.
  
Bettina Stangneth
  cite une longue diatribe d’Eichmann sur son “devoir de notre sang” - “Si 10.3
  millions de ces ennemis ont été tués”, déclara-t-il en parlant des Juifs,
  “alors nous aurons accompli notre devoir” -, ce qui ébranla les auditeurs
  enclins à l’indulgence.
  
“Je ne peux rien
  vous dire de plus, car c’est la vérité !”, déclara Eichmann. “Pourquoi la
  dénierai-je ?”
  
Pour le cercle Sassen
  - écrit Bettina Stangneth -, cette diatribe marqua la fin de la vision d’un Eichmann
  qui aurait voulu l’aider à justifier le “pur National-Socialisme” contre les
  charges calomniatrices de ses ennemis. Pour Eichmann, les entretiens avec
  Sassen furent un habile procédé devant Jérusalem, où son questionneur - écrit Bettina
  Stangneth - nota son ingéniosité, bien qu’au service d’une image très
  différente de lui-même, à répondre aux questions historiques.
Si selon plusieurs historiens Arendt, comme bien d’autres, fut grugée, la prestation d’Eichmann lui donnait néanmoins un éclairage utile sur la mentalité de maints d’entre ceux qui pratiquèrent la tuerie sur le terrain. 
“Le prototype était bon, mais pas l’individu”, dit l’historien Christopher R. Browning, auteur de « Des hommes ordinaires », étude importante de 1992 sur un bataillon de police allemand qui tua des milliers de Juifs en Pologne. Il y eut toutes sortes de gens qui affirmaient ressembler à Eichmann, ce pourquoi sa stratégie a fonctionné.
  
À l’écoute d’Eichmann
  à Jérusalem, Arendt y entendit une “inaptitude à penser”. À l’écoute d’Eichmann
  avant Jérusalem, Bettina Stangneth y vit un maître manipulateur habile à retourner
  contre eux-mêmes les arguments de l’ennemi.
  
“En tant que philosophe,
  vous voulez privilégier le fait de penser comme quelque chose de beau”,
  dit-elle à Arendt. “Vous ne voulez pas penser que quelqu’un, tout aussi capable
  de penser, n’aime pas ça.”