Psychanalyse et idéologie

Micheline Weinstein • 2020 Suite Journal ininterrompu

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Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • L’innommable

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object

Samuel Beckett  « The Unspeakable one »

Underlined in « Jargon of the authenticity » by T. W. Adorno • 1964

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Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.

Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil is made somewhere. Neither the sex or the age, nor the religion or the political party can be an excuse.

Bertha Pappenheim

point

ψ  = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s’adresse à l’idéologie qui, quand elle prend sa source dans l’ignorance délibérée, est l’antonyme de la réflexion, de la raison, de l’intelligence.

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© Micheline Weinstein

 

 

4 • Suite Journal ininterrompu par intermittence 1967-2020

Extension des post-it empilés en vrac

 

Ich will Zeugnis ablegen bis zum letzten

[Je veux témoigner jusqu’au dernier jour]

Victor Klemperer • Journal 1933-1947

 

2020

 

Ma devise ou vœu pieux d’une agnostique = Antisémites de tous les pays, désunissez-vous !

 

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12 janvier 2020

 

Pour cause d’impedimenta externes impératifs sans intérêt, excepté quelques incises quand je trouve une plage de temps libre, mon Journal… est en rade depuis des mois.

 

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Abus sexuels

 

Freud 1938, quelques mois avant sa mort

 

[…] On a dit de lenfant quil était psychologiquement le père de l’adulte et que les événements de ses premières années avaient, sur toute son existence, des retentissements d’une importance primordiale. L’expérience analytique confirme cette assertion. C’est pour cette raison que la découverte éventuelle dun événement capital survenu dans l’enfance présente pour nous tant d’intérêt. Notre attention doit être attirée d’abord par les répercussions de certaines influences qui, si elles ne s’exercent pas sur tous les enfants, sont malgré tout assez fréquentes : abus sexuels perpétrés par des adultes, séduction par d’autres enfants un peu plus âgés (frères ou sœurs) et, chose à laquelle on ne sattendrait pas, impression produite par la participation comme témoin auditif ou visuel à des rapports sexuels entre adultes (entre les parents), cela à une époque de la vie où de semblables scènes sont censées néveiller ni intérêt, ni compréhension et ne pas se graver dans la mémoire. Il est facile de montrer combien la réceptivité sexuelle de l’enfant est éveillée par de pareils faits et comment alors ses propres tendances sexuelles peuvent être canalisées dans des voies dont elles ne pourront plus sortir. Comme ces impressions sont soumises au refoulement, soit immédiatement, soit s que leur souvenir resurgit, elles fournissent une condition propice à l’éclosion dune compulsion névrotique qui, plus tard, empêchera le moi de contrôler la fonction sexuelle et le poussera probablement à se détourner de celle-ci de façon permanente. Cette dernière réaction engendre une névrose, mais si elle ne se produit pas, il peut y avoir développement de perversions ou bouleversement total de cette fonction dont l’importance est capitale non seulement pour la reproduction mais pour l’existence tout entière. […]*

 

* Peut-être serait-il intéressant de rappeler le chemin parcouru par Freud depuis l’“abandon de la neurotica” en 1897, à la naissance de la psychanalyse, lequel s’adressait aux seules hystériques, et dont il écrivait à Fliess : …il n'existe aucun indice de réalité dans l'inconscient de telle sorte qu'il est impossible de distinguer la vérité et la fiction investie d'affect. Freud n’avait pas encore rencontré Ferenczi (1908), rédigé partiellement pour cause de discrétion professionnelle son observation de l’Homme aux Loups (1914-1915), dans laquelle il relève l’abus sexuel commis sur lui “encore tout petit” par sa sœur, relate la scène entre ses parents à laquelle Serguéi Pankejeff avait assisté, du coït anal subi par sa mère…

De mon côté, je me suis souvent demandé si Dora ne s’était pas jouée de Freud, si elle n’était pas davantage perverse qu’hystérique, mais nous savons depuis qu’un symptôme n’exclut pas l’autre…

 

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Affaire Matzneff 2019 - 2020

 

À propos des hymnes actuels et répétés à Céline

 

Certains commentateurs médiatiques TV affirment que Céline, non seulement n’a pas dénoncé de Juifs, mais aussi qu’il en a soigné quelques naïfs sous l’Occupation pendant la Deuxième G. M.

Pour aller au plus bref, sur ce second point : Céline, en tant que médecin généraliste était tenu de respecter les prescriptions du code CSP (Catégorie socio-professionnelle), dont l’un des alinéas stipule : Le refus de soins ne pourra être fondé sur des motifs discriminatoires. Il ne sera pas possible en cas d’urgence.

Quant aux dénonciations par contre, Céline ne s’en est pas privé. Le 10 mars 2018, lors d’une mise à jour de notre site qui par manque de moyens financiers est un capharnaüm, j’y plaçai les informations suivantes :

 

Suite à sa candidature au poste de médecin-chef du dispensaire de Bezons

 en remplacement du Dr Joseph Hogarth, interdit d’exercice, le 3 novembre 1940*

 

Citations

 

“Je trouve qu’il y a un peu beaucoup de médecins juifs et maçons à Bezons. En exclusivité par les temps actuels, je trouve qu’il serait harmonieux qu’un indigène de Courbevoie - médaille militaire et mutilé de guerre - y trouve sa place naturelle.

 

Au conseil de l’ordre de Seine-et-Oise, après sa nomination comme médecin assermenté le 21 décembre 1940 :

 

“Je soussigné Destouches Louis-Ferdinand, docteur en médecine (certifie) :

 

1° que je ne suis pas juif

 

2° qu’installé à Bezons (Seine-et-Oise) déclare avoir pris connaissance du code de déontologie et m’engage sur l’honneur et par serment à observer les prescriptions du code

 

3° m’engage à faire crever tous les juifs et enjuivés de la médecine et d’ailleurs, qui se foutent actuellement de nous plus que jamais.”

 

* In Bruno Halioua, Blouses blanches et étoiles jaunes, Éd. Liana Lévi, 2000.

Référence : Commissariat général aux questions juives [CGQJ] (AN, AJ 38-66)

 

Sur l’addiction d’intellectuels et de leurs éditeurs à Céline, à Sade et alii

 

À titre d’indication, je proposerais la lecture de deux textes parus dans nos éditions-papier et disponibles sur demande :

 

Céline, Sein Kampf, par Georges Ralli, paru en juin 1989 ;

Le pervers et son image [dont Sade], par Saïd Bellakhdar, paru en juin 1993

 

Cf. ci-dessous les sommaires des deux parutions.

 

 2 • ENTRE L’AVANT ET L’APRÈS
M. Weinstein • Cinquante ans après
M. Dreyfus • Entre l’Avant et l’Après
G. Ralli • Céline, Sein Kampf

 

17 - 18 • LA PSYCHANALYSE A-T-ELLE TOUJOURS VINGT ANS ? + CASSETTE
*** Audit du public
S. Bellakhdar • La psychanalyse a-t-elle toujours vingt ans ?
W. Borchert • alors, dis NON !
S. Bellakhdar • Le pervers et son image
T. Peyrard • Venise
B. Brecht • Ballade de Marie Sanders «Putain aux juifs » • Poème en allemand et en français dits par E. Schegel et R Meigney
M. Weinstein • « Ce serait merveilleux... »

 

19 janvier 2020

 

Après son appropriation par la philosophie de la psychanalyse selon Freud,

sa progressive néantisation en tant que discipline autonome

 

Je viens seulement de trouver un éclairage au sujet de mon interrogation réitérée sur l’emploi à la mode, pédante en même temps que peu documentée, du vocable schizophrène pour désigner abusivement le clivage de la pensée et donc des actes qui s’ensuivent, au détriment de celui de pervers, une majorité d’institutions-modèles étant établie sur la base de la structure perverse.

Les temps, la vitesse effrénée ne favorisant plus guère la lecture attentive, je me contenterai aujourd’hui, à l’intention de lectrices et lecteurs éventuellement intéressés, de reproduire quelques extraits d’un livre qui n’a pas connu l’honneur d’être invité par « La Grande Librairie », celui de Roger Scruton, L’Erreur et l’Orgueil • Penseurs de la gauche moderne.

 

Comme Platon, j’ai tenté dans ce livre de remettre la responsabilité de la discussion entre les mains de ceux qui l’ont initiée. Et comme Platon, je sais que ce fardeau ne sera jamais accepté.

Roger Scruton

 

 

Extraits

 

Plus rien n’a de sens, et c’est cela, la révolution, c’est-à-dire une machine à anéantir le sens. Cette machine fut construite par Jacques Lacan, Gilles Deleuze et d’autres, à partir de bribes abandonnées de psychologie freudienne, de linguistique saussurienne, et rattachée au moulin à paroles hégélien de Kojève, qui permettaient de la gonfler d’air chaud. Mais elle survécut à ses créateurs et on peut en trouver une version dans presque tous les départements de sciences humaines, aujourd’hui.

[…]

Le cadre de la machine à non-sens fut assemblé par Jacques Lacan, le psychiatre excentrique dont les Écrits publiés en 1966, eurent un impact énorme sur les étudiants en révolte, à la cause desquels il se rallia publiquement. Lacan fut décrit par Raymond Tallis comme « le psy venu de l’Enfer », des mots qui définissent bien les pratiques d’un psychanalyste qui pouvait voir dix clients en une heure, parfois en présence de son coiffeur, de son tailleur ou de son pédicure, et qui soignait ses patients en leur apprenant à parler, penser et ressentir dans le même langage paranoïde que leur médecin. Mais mieux vaut ne pas être trop sévère avec Lacan à cet égard. Les psychanalystes assoient leur renommée grâce à leurs idées, pas grâce à leurs succès thérapeutiques […]. Quant à la renommée d’une idée, elle résulte de son influence, pas de sa vérité.

[…]

De Badiou à Žižek, les disciples de Lacan se sont réjouis de la découverte qu’il nous a léguée, et il est facile de comprendre pourquoi, Derrida avait mis en doute, dans sa théorie de la déconstruction, la possibilité d’un sens quelconque. Avec Lacan, nous avons la preuve qu’il n’est pas nécessaire d’avoir un sens quelconque, dans tous les cas. On peut énoncer un discours dénué de sens page après page, et tant que quelques « mathèmes » sont injectés dans le texte, tant qu’on conserve une attitude de certitude inébranlable, qu’on dispose d’une révélation dont on est seul détenteur, on aura fait tout ce qui est nécessaire en matière de contribution à la « conscience révolutionnaire » émergente.

[…]

Selon deux praticiens deleuziens 

 

Le corps sans organes [CsO] est une présupposition de la forme et du sens, et par conséquent ce qui se rapproche le plus de la description figurative de l’immanence faite par Deleuze. Un espace lisse de mouvement et de transition purs qui en tirera sa forme : l’espace lisse du CsO est lui-même irrésistible. Ce qui compte, dès lors, est son rapport à l’organisation, que ce soit celle des entités personnelles ou sociales, et le temps est alors balisé par la création mécanisée d’un corps ou système social.

 

On peut comprendre par-là pourquoi Deleuze et Guattari pensent avoir trouvé la véritable explication de la schizophrénie [M. W. = je souligne].

La formule « corps sans organes » (CsO), que Deleuze et Guattari utilisent pour désigner le corps dans son état virtuel - le corps qui n’est pas encore « actualisé » par les relations - est empruntée au dramaturge surréaliste Antonin Artaud. Ils avancent que la schizophrénie est précisément ce qui doit arriver lorsque le CsO est touché par le capitalisme c’est de cette façon que nous trouvons notre humanité quand l’« œdipianisation » imposée par le système de la consommation vide le réceptacle biologique qui contient l’être humain. Bien sûr, certains détails restent à éclaircir. Slavoj Žižek fait référence à la Logique du sens de Deleuze en ces mots :

 

Le flux productif du pur devenir (…) n’est-il pas d’un côté, le CsO, le corps pas encore structuré ou déterminé en tant qu’organes fonctionnels ? Et, de l’autre côté, les OsC (organes sans corps) ne sont-ils pas la virtualité du pur affect extrait de tout enracinement dans le corps ?

 

À l’évidence, une fois ce langage adopté, on peut poser mille questions et, même si elles n’ont pas de réponses, cela ne fait qu’ajouter au sens de leur pertinence et de leur profondeur.

[…]

De la machine à non-sens deleuzienne découle un beau style universitaire, qui propose une syntaxe sans sémantique. On ne compte plus les tournures de phrases nécessitant une profonde concentration et un effet à la limite de la pensée abstraite et mathématique. Quand une idée réelle fait son apparition, elle est hors contexte, amputée de ses fondations, réduite à éparpillement de détails techniques déracinés. Le style permet ainsi à la pensée et à la non-pensée d’être sur un pied d’égalité, par l’emploi des mêmes tournures de phrases et des mêmes structures argumentatives. Les bénéfices autrefois apportés par la vérité, la validité et l’argument rationnel disparaissent d’un coup, et on vous présente le matériau nécessaire à la construction d’une impressionnante carrière universitaire bâtie sur le néant. Ceci étant, quelle que soit la carrière que vous construisez, une chose est certaine : vous êtes « à gauche » sur le plan politique, blanchi par toutes les causes justes du moment (quelles qu’elles soient), et donc à l’abri de toute critique sérieuse. Votre discours universitaire c’est celui de la distraction, de la libre expression, de la jouissance.

ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
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