Psychanalyse et idéologie

Tania Bloom • Tavaux 1967 - 1997

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Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • L'innommable

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object

Samuel Beckett  « The Unspeakable one »

Underlined in « Jargon of the authenticity » by T. W. Adorno • 1964

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Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.

Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil is made somewhere. Neither the sex or the age, nor the religion or the political party can be an excuse.

Bertha Pappenheim

point

ψ  = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s’adresse à l’idéologie qui, quand elle prend sa source dans l’ignorance délibérée, est l’antonyme de la réflexion, de la raison, de l’intelligence.

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© Tania Bloom

   [Micheline Weinstein]

 

Travaux 1967 - 1997

Chapitre 1

Vue d’ensemble de 1967 à août 1997

 

Août 1997

Il y a trente ans

  

     En 1967 paraissait la Proposition du 9 octobre de Lacan. C’était il y a trente ans et j’aurai vingt-six ans en novembre de cette année-là. Embarrassée par la terminologie désignant les concepts avancés, je suis allée rechercher dans mes documents, écrit en allemand gothique, Die Selbstbehauptung der deutschen Universität, plus connu sous le nom de Discours du Rectorat, “tenu pour sa prise en charge solennelle”, par Martin Heidegger, à Fribourg-en-Brisgau le 27-05-1933.

J’avais été frappée, dans la Proposition... de Lacan, par des termes tels que facticité, épreuves, sélection, pure forme qui s’isole comme désir de savoir, appareils, pur manque, pur objet, destitution subjective, doctrine, Hegel, Saint Thomas, prise [du désir, dans le fantasme de l’analyste] n’est rien que celle d’un désêtre, organes pour un fonctionnement immédiat, ségrégation, etc.

Ces termes me paraissaient participer d’un autre temps, une sorte de pseudopode du XIXe siècle, comme c’était encore la coutume pour la philosophie en Allemagne, et même Mein Kampf, dont le premier tome est préfacé le 16 octobre 1924 par le pensionnaire de la Maison d’arrêt de Landsberg am Lech n’en n’est pas dépourvu. C’est dans sa traduction française de 1933, introduite par Lyautey avec ces mots : Tout Français doit lire ce livre, qu’il est déclaré par les traducteurs de Mein Kampf - leurs noms figurent encore dans des annuaires parisiens -, que dorénavant völkisch signifie explicitement raciste.

       Jean-Pierre Faye analyse cette appellation, Section III, pp. 151 à 199, de ses Langages totalitaires, paru chez Hermann en 1972.

       Dans un Avertissement, les éditeurs de Mein Kampf en français, relèvent que le Ministre prussien de l’instruction publique édictait en décembre 1933 une liste des livres recommandés dont, naturellement, Mein Kampf, ainsi que quelques notes officielles, parues [sous l’autorité de Gœbbels et Gœring] dans le Völkischer Beobachter, l’Observateur raciste donc, cette année-là.

Ainsi, le 19 juillet 1933 :

 

Les autorités supérieures devront faciliter largement à chaque fonctionnaire la connaissance des textes essentiels du national-socialisme ; je leur indique tout particulièrement le livre du Führer Mein Kampf.

 

Le 11 décembre 1933 :

 

Le livre de notre Führer contient pour le présent et pour l’avenir les principes définitifs des conceptions national-socialistes ; il est indispensable à tout Allemand et à quiconque veut pénétrer les arcanes de notre doctrine ; il constitue l’essence même du national-socialisme et “il doit devenir désormais la Bible du peuple allemand”. Il est donc essentiel de faire connaître intégralement ce livre, dont treize millions d’Allemands avaient, bien avant le plébiscite, adopté les promesses et les prédictions. Voici l’une d’elles ; ayant indiqué que la France est le principal obstacle aux visées allemandes, Hitler conclut : “Ces résultats ne seront atteints ni par des prières au Seigneur, ni par des discours, ni par des négociations à Genève. Il doivent l’être par une guerre sanglante.” Tous les Français doivent en être instruits.

 

Maintenant, ouvrons Mein Kampf, seconde partie. Nous y lisons ceci :

        

Il est de la plus haute importance de développer la force de volonté et de capacité de décision, ainsi que la propension à assumer avec plaisir une responsabilité.

De même que l’État raciste [völkisch] devra un jour apporter toute son attention à l’éducation de la volonté et de l’esprit de décision, de même il lui faudra graver dans le cœur des jeunes gens, dès leur plus tendre enfance, le goût des responsabilités librement consenties et le courage de leurs actions.

nous resterons encore dans l’avenir le fumier de la civilisation - non pas dans le sens étroit que donne à cette expression la façon de voir de notre bourgeoisie, qui dans la perte d’un frère de race ne voit que celle d’un concitoyen - mais dans le sens qu’on lui donne avec douleur quand on a su voir qu’en dépit de toute notre science et de toutes nos facultés, notre sang est condamné à s’avilir. En nous unissant continuellement à d’autres races, nous les élevons bien à un degré supérieur de civilisation, mais nous sommes à jamais déchus du faîte que nous avions atteint. D’ailleurs, l’éducation, en ce qui concerne la race, trouvera son achèvement définitif dans le service militaire. Ce temps de service doit être considéré comme le dernier stade de l’éducation normale donnée à l’Allemand moyen. Le système d’enseignement adopté par l’État raciste devra veiller à ce que les classes cultivées soient continuellement renouvelées par un apport de sang frais provenant des classes inférieures.

Il lui faut [à l’État raciste], quand même devrait-il consacrer des siècles à son œuvre d’éducation, mettre fin à l’injustice qui consiste à mépriser le travail corporel. Il devra avoir pour principe de juger l’individu non pas d’après son genre de travail, mais suivant la qualité de ce qu’il produit.

Si l’idée raciste, aujourd’hui obscure velléité, veut obtenir un brillant succès, il faut qu’elle tire de tout son système idéal un certain nombre de principes directeurs, dont la forme et le fond puissent s’imposer à une grande masse d’hommes et à celle-là même qui est la seule garantie de succès pour le combat doctrinal de cette idée, j’ai nommé la classe ouvrière.

 

     En mai 1933, Heidegger déclarait solennellement :

 

Pour les Grecs la science n’est pas un “bien Culturel”, mais le centre intrinsèque de l’Être-là national populaire tout entier. La science n’est pas non plus pour eux le pur moyen de rendre conscient l’inconscient, mais c’est la force qui, s’en emparant, maintient affûté le Da-sein tout entier.

Car “Esprit” [Geist] n’est ni vaine perspicacité ni jeu gratuit du Witz, ni travail d’analyse formelle ni même logique du monde, mais esprit est originellement analogique à libre décision pour l’essence de l’Être. Et le monde spirituel d’un peuple n’est pas la superstructure d’une culture, pas plus que l’arsenal des valeurs et de connaissance applicables, mais il est la puissance la plus profonde de ses forces garantes de terre et de sang, en tant que puissance intrinsèque d’émotion et puissance de bouleversement le plus vaste de son Da-sein.

 

       Lors de l’entretien où Heidegger déclare à Der Spiegel : Nur noch ein Gott kann uns rette, “Seul un Dieu peut encore nous sauver”, daté du 23 septembre 1966 - vingt-septième anniversaire de la mort de Freud - qui sera publié selon le vœu de l’auteur seulement après sa mort en 1976, une photo officielle de 1933 est reproduite, qui montre Heidegger parmi les nazis Professoren. Sur une autre, Augstein, le journaliste du Spiegel, s’éloigne avec le vieil Heidegger, piolet en main droite, rucksack et chapeau pare-soleil, sur un chemin de campagne allemande.

       Je ne reprendrai pas ici le travail de décodage que j’ai effectué, de la Proposition... de 1967 et achevé en 1969, lorsqu’à peine remaniée, et pas pour son plus grand avantage, elle parût dans Scilicet.

       Personne ne s’y est intéressé, disons-le comme ça, dans le “milieu”.

       Je persisterai néanmoins à considérer que ce que Lacan dit et écrit de Freud, de sa fille Anna, je l’ai patiemment inventorié, des [sic] médiocres analystes juifs de la Mitteleuropa ayant fui le nazisme encore à temps, selon Lacan par peur de la marée rouge, - ah, le lassant et latent prétexte du bolchevisme... - et ne perdant dans les camps de concentration aucun de leurs membres, dans cette Proposition de 1967, mais aussi dans ses séminaires, conférences et Écrits, spécialement en 1974, est une honte pour la psychanalyse française. Propos épars, tenus dans un style et avec le recours à des mots grossiers, parfois insultants, apparentés à ce vocabulaire sub-célinien, tradition héritée de l’avant-guerre et perpétuée par-dessus ce que Lacan appelle la parenthèse 1939-1944, pour lequel l’intelligentsia germanopratine, les jardins des fines fleurs manifestent une étrange appétence.

       Les morceaux choisis, comme on dit, que je regroupe ici sont exclusivement ceux parus dans ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON depuis une grande décade, que beaucoup d’analystes d’horizons divers auront croisée depuis plus de dix ans.

       Pour la plupart de ces analystes, il est apparu que ce n’était pas comme analystes qu’ils écrivaient, ou alors comme nommés analystes, mais en pauvres errants dans le pétrin sinon encore dans la lugubre Passe*. L’atmosphère se caractérisait par une impensable absence d’humour, on était raide, affecté, condescendant pour qui n’était pas soi… Non, on ne se marrait vraiment pas. L’étrangeté flottait dans les airs, des postulantes se fantasmaient élues du Maître qui, selon ce que certaines disaient, n’adressait ses séminaires qu’à chacune d’entre elles, élaborait sa théorie à partir de leur Moi ballonné, comme si peu à peu elles versaient dans l’érotomanie ; les hommes, eux, imbus de leurs acquis, professoraux, avaient avalé leur parapluie.

 

* Cf. François Perrier, Voyages extraordinaires en Translacanie • Mémoires, Lieu Commun, 1985.

 

On avait l’impression, urbi et orbi, en public comme dans le privé, d’être conviés à de successifs enterrements, de Freud, du mot d’esprit, des lapsus qui font tordre de rire, des formations de l’inconscient, de la théorie du rêve, de la sexualité, bref, de la psychanalyse.

Des postulants à la nomination d’analyste se félicitaient cependant d’être “passés” analystes, parfois depuis fort longtemps, aboutés qu’ils avaient été selon leur rang social ou leur position dans le monde, leurs réseaux, leur train de vie et accessoirement pour les femmes, leur apparence physique.

Cela s’était fait à l’abri plus ou moins poreux du désêtre, à l’ombre de rivalités meurtrières. Sans contrôle professionnel par des psychanalystes freudiens dûment habilités, on veillait simplement à ce que ce qui se passait là, de l’un à l’autre, de l’autre à l’autre, reste hors le domaine public. Non, dans cette procédure lacanienne de La Passe, Je, sujet,si l’on s’y prêtait en vue d’être admis à l’un des titres hiérarchiques de psychanalyste, c’était selon un long et douloureux protocole dont l’issue dépendait davantage d’une forme de népotisme que d’un témoignage destiné à révéler le bien-fondé d’une réelle formation.

Mais ce qui caractérisait les membres à leurs différents échelons ainsi hiérarchisés, de même que l’ensemble des adeptes de ce cénacle, était l’absence totale d’humour, à la ville comme à l’école, ce qui est très regrettable si l’on songe aux tours pendables que jouent les formations de l’inconscient. Effacés, Freud et la psychanalyse patiemment enfantée par Freud. De même que la pratique à visée thérapeutique. Or, nous savons que l’absence d’humour, qu’elle soit institutionnalisée ou individuelle, désigne le plus souvent une structure perverse, donc incompatible avec la psychanalyse, mais aussi que lorsque l’aptitude à l’humour parvient à conjurer le malheur, le mal-être, nous pouvons alors envisager la perspective plus ou moins lointaine pour l’analysant-e d’assumer de vivre sa vie, quels qu’en soient les aléas.

Si bien que je pris rendez-vous avec Lacan, pour essayer d’y voir plus clair dans ce sépulcral tunnel universitaire. Le maître me demanda d’emblée de quelle analyste du moment j’émanais, puis à ma réponse me dit, tel que je l’ai entendu : Voulez-vous l/’/a/c/quitter ? Déroutée du sens de ma visite, je ne trouvai à lui répliquer que : Comment l’écririez-vous ?

    Et puis, quels que soient les dépliements d’une analyse, quelle qu’en soit l’issue - Wo es war, soll ich werden, n’est-ce pas ? - même si l’on y a été plongé dès l’enfance, ce qui fut mon cas, quand l’on se trouve acculé contre le point de non retour qui déclenche la demande d’analyse, il n’est pas prévu de se voir enrôlé dans un appareil agencé sur le principe du monopole, grâce à des ainsi nommés par Lacan “cartels”*, où se déployaient des conduites individuelles de pouvoir, pétries de déchirements, de jalousies, de cruautés, de rejets de qui ne faisait pas allégeance...

 

* Cartel = concentrations horizontales de petits groupes indépendants les uns des autres dans le but d'harmoniser leurs politiques de vente de façon à diminuer ou à supprimer la concurrence et à obtenir un monopole. Relevons que, non seulement la notoriété, mais l’appât du gain n’étaient pas forclos dans cette affaire.

 

Pour ce qu’il en sera par la suite des équations de Lacan, nommés Mathèmes, j’y reviendrai dans mes travaux ultérieurs et plus précisément des propos désobligeants qu’il tint au non-égard de François Le Lionnais, résistant déporté à Dora*, après qu’il l’eut en premier sollicité pour l’éclairer sur les mathématiques. François Le Lionnais essaya de dissuader Lacan de la véracité de ses constructions qu’il estimait oiseuses, Lacan le quitta et se fit acrimonieux dans Le nombre treize et la forme logique de la suspicion [Cahiers d’art, 1946].

 

* Cf. sur notre site, de François Le Lionnais deux ans avant sa mort en 1984, Un poème des poèmes • La peinture à Dora, qu’il sous-titre, Rêve à la fin de la nuit du mercredi 10 au jeudi 11 mars 1982 : une véritable création oulipienne (Archive personnelle),

 

http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/flelionnais.html

 

Bizarrement, l’analyse jusqu’alors désignée comme “personnelle” n’intéressait absolument pas les analystes de ce courant-là, mais encore fallait-il le savoir. Ils administraient l’analyse selon une terminologie littéralement codée, autrement dit, ils privilégiaient a priori l’application des avancées lacaniennes sans se soucier de l’écoute. D’où l’avantage d’aller se faire entendre ailleurs avant de fréquenter cette école, puis de choisir de s’y faire admettre ou pas et de suivre, chacun en son indépendance, la voie ouverte par Freud.

    Il paraîtrait, selon Anne-Lise Stern, que je “n’aime pas” Lacan. Pour ne pas aimer l’homme, il eût fallu d’abord qu’il me “saisît” comme aurait dit Heidegger, négativement ou positivement, en qualité de sujet de transfert, ce n’était pas le cas. Par contre, ce que je n’aime pas, c’est l’état d’esprit issu d’un certain monde, d’une certaine intelligentsia, et développé en leur sein. C’est pourquoi, j’ai attentivement lu, écouté et étudié tout ce qui était disponible de Lacan, du vocabulaire aux mathèmes, du style à l’enseignement, de ses références aux miennes. Et je suis loin de méconnaître ses trouvailles ni sa tentative de sortir des discours ambiants au moyen de langues ou de sciences dites “affines”, de créer un thesaurus qui ferait origine. Mais je récuse son essai de construction d’une théorie dont le regard serait le centre, regard à l’infini, poinçonné de l’objet d’un fantasme qui jamais ne choit. Et je pense que la condition pour passer d’analysant à analyste à l’écoute, requiert ceci, qu’un fantasme quelconque, s’il fut “traversé”, n’est tout de même pas l’Acheron, doit avoir chu. À seule fin que l’analysant ne soit pas mué en hypnotisé et ne cesse de ne pas pouvoir prendre sa route, sauf celle d’une mort ou d’un gâtisme prématurés. D’où, peut-être, antérieurement, l’abandon de l’hypnose par Freud.

    ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON est un lieu de passage de textes et documents dont les auteurs sont plutôt ignorés de la mode, non un jardin d’Akadêmos.

    Bref, voici ces textes, dans l’ordre chronologique, avec leurs reprises. Il n’est pas difficile d’entr’entendre ici leurs destinataires. Ils ont été relus et, pour certains, réécrits. Ils sont présentés, en cet été 1997, à partir de deux passages de Freud, extraits de Inhibition, Symptôme et Angoisse • 1926 et de Sur une Weltanschauung • 1933 :

 

Nous ne sommes assurément pas pour la fabrication de Weltanschauungen. Laissons celles-ci aux philosophes, qui avouent eux mêmes trouver que le voyage de la vie ne serait pas réalisable sans un tel Baedeker qui les renseigne sur toute chose. Nous prenons humblement sur nous le dédain avec lequel les philosophes nous toisent du haut de leur suprême indigence. Mais, comme pas plus qu’eux, nous ne sommes capables de renoncer à notre fier narcissisme, nous chercherons à nous consoler en constatant que ces “conducteurs de vie” vieillissent vite, que c’est justement notre petit travail limité, à courte vue, qui rend nécessaire les rééditions revues et corrigées de ces Baedeker, dont même les plus modernes ne sont que tentatives pour remplacer ce vieux catéchisme, si commode et si complet. Il est vrai que nous n’ignorons pas le peu de lumière que la science fut capable de diffuser sur les énigmes de ce monde ; tout ce tapage des philosophes n’y changera rien, et seul le travail poursuivi avec patience, qui subordonne tout à cette seule exigence de tendre vers la certitude, peut progressivement concourir à en modifier les choses. Quand le promeneur chante dans l’obscurité, il renie son anxiété, mais pour autant, n’y voit pas plus clair. [...]

Des trois forces qui peuvent contester à la science raison d’être et territoire, son seul ennemi formel est la religion. L’Art est presque toujours sans défiance et salutaire, il ne prétend à rien d’autre qu’à l’illusion. Mises à part quelques rares personnes qui sont, dit-on, comme possédées par l’Art, l’Art ne se hasarde pas à chasser sur les terres de la réalité. La philosophie n’est pas l’antithèse de la science, elle se conduit elle-même comme une science, elle emprunte en partie aux mêmes méthodes, mais elle s’en éloigne quand elle s’accroche à l’illusion de pouvoir livrer une image du monde cohérente et sans lacune, qui pourtant s’écroule immanquablement à chaque nouvelle avancée de notre savoir. Avec esprit de suite, elle s’égare en survalorisant la connaissance de nos opérations logiques et de surcroît en légitimant quelque chose comme étant une autre source de savoir, telle l’intuition. Et bien souvent, on pense que la moquerie du poète (H. Heine) n’est pas sans fondement quand il dit du philosophe :

 

Avec ses bonnets de nuit

et des lambeaux de sa robe de chambre

Il bouche les trous de l’édifice du monde.

 

Le Retour, LVIII

 

Cependant, la philosophie n’a pas d’influence directe sur la majorité, dans la masse des humains, elle n’en intéresse qu’un nombre insignifiant parmi la classe supérieure de l’intelligentsia, pour les autres elle est à peine intelligible. Par contre, la religion constitue un pouvoir monstrueux, qui dispose des émotions les plus fortes de l’être humain. On sait que, jadis, elle embrassait tout ce qui joue un rôle à caractère intellectuel dans la vie de l’humain, puisqu’elle occupait la place de la science quand il n’y avait encore guère de science, et qu’elle a formé une Weltanschauung d’une logique et d’une compacité incomparables qui, bien qu’ébranlée, persiste encore aujourd’hui. [...] Si l’on doit rendre compte de la nature impressionnante de la religion, alors il faut avoir à l’esprit ce qu’elle entreprend de garantir aux humains. Elle leur fournit une explication sur la création et l’origine du monde, elle leur assure protection et, à terme, bonheur, tout au long des avatars de l’existence, et elle dirige leurs manières de penser et leurs actes et ce, par des prescriptions mesurées à l’aune de sa totale autorité. Elle remplit donc trois fonctions. Par la première, elle satisfait au besoin de savoir des humains, elle agit comme y tend la science avec ses moyens propres, elle entre ainsi en rivalité avec elle. C’est à sa deuxième fonction qu’elle doit sans doute la part la plus énorme de son influence. Lorsqu’elle apaise l’angoisse des humains, face aux dangers et avatars de la vie, qu’elle leur garantit une issue favorable, qu’elle prodigue consolation dans le malheur, alors la science ne peut faire contrepoids. Certes, celle-ci enseigne comment parer à certains dangers, combattre avec succès bien des maux ; il serait très injuste de contester qu’elle est pour les humains une puissante auxiliaire, mais dans nombre de circonstances, elle doit abandonner l’humain à son mal, et ne sait lui conseiller que de s’y faire. C’est dans sa troisième fonction, quand elle prescrit, qu’elle promulgue interdits et restrictions, que la religion s’écarte le plus de la science.

 

       Et quelques notes-clefs :

 

Un- = refoulé ;

Ver- = rejeté délibérément, barré, une croix sur... [notons que “forclore” en allemand se dit, non verwerfen, mais ausschließen, forclos verwirkt, déchu de...]

Former = bilden, formation, Bildung, Bild, αγαλμα

 

       Dans la mélancolie :

 

Il est moins évident, mais pourtant tout à fait vraisemblable que la misère du mélancolique est l’expression d’une “zizanie aiguë (Zwiespalts - Zwie = pelures d’oignons, miettes, Spalt = clivage)” entre les deux instances du Ich, dans laquelle l’idéal démesurément sensible “met à jour” sans ménagement sa condamnation du Ich sous forme de délire d’infériorité et d’autodépréciation.

Freud • Massenpsychologie

       Dans le narcissisme :

 

La sublimation tient lieu d’exutoire de manière à ce que l’exigence [du Ich] puisse être remplie sans entraîner le refoulement.

Zur Einführung...

 

       La pratique de l’analyste ne pourrait alors être une dérivation de sa pulsion scopique. Dans le chapitre-pivot autour duquel Freud écrit le Moïse, la pulsion, il faut commencer par y renoncer et, pour y parvenir, cela demande de la patience et prend du temps...

 

 

ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
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