Psychanalyse et idéologie

Psi . le temps du non

Blueberry • Traduction

Ø

Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • « L’Innommable »

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down the worshipped object
Samuel Beckett • « The Uspeakable one »
Underlined in « Jargon of the authenticity » by T. W. Adomo • 1964

Ø

Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.


Nobody has the right to remain silent if he knows that something evil is being made somewhere. Neither sex or age, nor religion or political party is an excuse.

Bertha Pappenheim

point

« Blueberry »

Traduit par Micheline Weinstein

Bonjour Micheline, c’est Mira. Je vais essayer de te parler de Blueberry, et quelques autres petites choses que tu m’as demandées.
À ta question : non, les difficultés à lancer et à continuer cette aventure ne dépendaient pas du fait d’être docteur en médecine ou de n’être pas docteur en médecine, pas plus qu’à la faire fonctionner, ni à cause de cela qu’elle n’a pas survécu.
En 1958, avec Tev et Zev, nous avons travaillé dans une école pour enfants en bas âge, dont plupart d’entre eux étaient autistes, mais nous ne le savions pas car ce n’était pas encore la mode de diagnostiquer ces enfants comme autistes. Ces enfants là étaient alors tous diagnostiqués comme souffrant de schizophrénie infantile.
À la fin de notre semestre dans cette école, nous avons réalisé que l’école seule n’était pas suffisante pour ces enfants, qu’ils avaient besoin d’une forme d’accompagnement vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Nous avons donc décidé d’aller sur une île où nous avons emmené 11 enfants et nous avons essayé de leur faire prendre un début de contact avec la réalité.
Je pense que six d’entre eux souffraient de ce que l’on appelle schizophrénie infantile, et les autres étaient autistes. À cette époque j’ai écris un article que je t’enverrai, « La renaissance de Jonny ». Il s’agissait d’un enfant autiste, et ce travail a été publié dans le Harper’s Magazine. puis a été porté à l’écran. C’était donc la première fois que le public voyait un enfant autiste, hors de l’hôpital, avec lequel nous travaillions. Nous avons donc emmené cet enfant avec les dix autres et nous avons vécu avec eux sur cette île, ce qui était une idée hasardeuse et folle si on y réfléchit maintenant. Mais l’aventure a réussi car, à la fin du séjour, l’état de la majeure partie des enfants s’était amélioré.
C’est ainsi que le monde extérieur a pris conscience que ces enfants étaient curables. Avant cela, l’état de ces enfants était considéré comme définitivement incurable. Nous avons donc conçu pour eux une école que nous avons appelé l’école de soins de jour « Blueberry », nous avons monté un campus pour qu’il y ait une permanence, et qu’il n’y ait pas d’interruption de leur relation avec nous pendant l’été. Puis nous avons créé une résidence de vie pour les enfants qui ne pouvaient continuer à être pris en charge chez eux. Nous avons ensuite construit une nursery pour bébés autistes et schizophrènes, et enfin un village sur l’État de New York. Tout cela, l’ensemble, était « Blueberry ». C’était une première du genre, dont le symbole était « Du berceau au tombeau ». Nous espérions qu’il serait possible à ces enfants, pour ceux qui y parviendraient, de devenir autosuffisants. D’ailleurs quelques uns d’entre eux ont pu fréquenter des écoles alentour - accompagnés tout de même par des éducateurs. Les adolescents ont appris l’artisanat tout en allant au collège, et l’un deux a même fait des études supérieures.
Toutefois, « Blueberry » était à peu près le seul endroit où ces enfants pouvaient vivre et être soignés. Mais cela coûtait très cher. La répartition entre enfants et adultes était très faible, il y avait parfois un adulte pour un enfant, parfois deux enfants pour un adulte, mais au plus c’était trois enfants pour un adulte. Dans l’ensemble, l’aventure fut un succès.
Cependant les sources de financement, les administrations telles la psychiatrie, les services sociaux, l’Éducation nationale, ne souhaitaient vraiment pas dépenser de telles sommes d’argent. Si bien que finalement nous avons été conduits à la faillite, et avons dû fermer car ils ne versaient pas ce à quoi ils s’étaient engagés. Nous n’avions plus aucun moyen d’obtenir les fonds pour entretenir le personnel et les enfants. « Blueberry » a donc fermé faute de financement. Cela n’a donc rien à voir avec une formation médicale ou non. Nous avions un psychiatre, un pédiatre, mais aussi des employés de toutes sortes, ce n’était vraiment pas là l’important. Par contre, fondamentale était la relation entre l’enfant et l’adulte, quel que soit le statut social de cet adulte.
Lorsque nous avons démarré « Blueberry », pour s’assurer d’être à la hauteur, nous avions tout une équipe de docteurs, puis insensiblement nous sommes passés à tout une palette d’artistes : sculpteurs, peintres, danseurs... qui étaient, en fait, bien plus efficaces que les professionnels de la santé. Nous avions même un avocat de Californie. Ils s’attachaient à faire évoluer ces enfants, à comprendre leur manière différente de penser, de percevoir, d’interroger le monde. Finalement, c’est nous qui avons formé, nous-mêmes, notre personnel, capable de s’occuper de 100 bébés, 72 ou 75 enfants et préadolescents dans le centre de soins de jour, 18 jeunes enfants dans la résidence, avec lesquels nous vivions. Il y avait aussi 12 à 16 adolescents sur l’état de New York et 50 enfants dans le camp. Malheureusement les pouvoirs publics s’intéressaient davantage à la politique qu’à la guérison de ces enfants, et donc la fin de l’histoire, comme je l’ai dit précédemment, fut la faillite. Nous avons été obligés de fermer, exclusivement pour cause de difficultés financières. Lorsque nous avons commencé, la plupart d’entre nous travaillaient bénévolement, mais lorsque la structure s’est agrandie, a accueilli autant d’enfants, nous avions 200 employés qui ne pouvaient pas travailler bénévolement, ils avaient leur familleà assumer. Et par-dessus cela, un directeur adjoint a détourné une partie de nos maigres fonds. Ce fut donc la fin.

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ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
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