Nul n'a le droit de rester silencieux, s'il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe, ou l'âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse. Bertha Pappenheim
Il y a le fait que [...] la logique de l’engagement ne supporte aucune entorse à la vérité. Henri Roth
Le transfert négatif “à la” psychanalyse, et non pas “en” psychanalyse, est un thème récurrent, une donnée latente, rampante. Il se manifeste aussi bien dans la pratique analytique courante, au plan individuel, que de la part des institutions publiques ou privées sous toutes leurs formes, au plan collectif.
On peut en trouver un exemple infra dans ma lettre à Jean Pierre Faye. Mais pour en poursuivre la chronique, quelques souvenirs...
En novembre 2005, lors de la soirée de lancement du second tome de la correspondance de Françoise Dolto au Musée de la Poste, j'étais accompagnée d'une amie, analyste de l'Institut, la SPP depuis, qui m'avait adressée à F. D. après la guerre. À l'époque, du temps donc de Leibovici, J. était une jeune analyste “stagiaire” en contrôle chez F. D. À peine sortie elle-même de l'âge du scoutisme alsacien, elle avait, pendant les hostilités, passé quelque temps à s'occuper d'enfants juifs dans un camp d'internement du sud de la France, où tout ce petit monde avait été parqué avant déportation possible.
Je pensais que sa présence bien vivante, lors de cette magnifique rétrospective Dolto, intéresserait des psychanalystes et des historiens de la psychanalyse. Il ne doit plus rester grand monde parmi les témoins de ce temps-là de la reconstruction de la psychanalyse en France, qui fut en contrôle chez Dolto après-guerre...
Jusqu'à ce soir là de novembre 2005, j'étais vraiment restée très loin des combats, avec mon idée de transmission de la psychanalyse et de son histoire, par des témoins vivants sur presque trois générations. J'étais, c'était pratiquement hier, complètement à côté du monde de l'empoigne, de l'édition, ce monde très puissant, lié à l'histoire et à la pratique analytiques.
Ce soir donc d'inauguration de la rétrospective Dolto, cela va sans dire, mon idée n'a intéressé personne, on n'était pas là pour ça. C'était juste une soirée éditoriale parisienne destinée à faire vendre un nouveau produit, un peu plus classe tout de même que le prix du café de Flore, bien qu'aussi snob.
Ce “Prix du Flore” où l'on s'interroge sur ce que transmettent des analystes à leurs analysant/e/s phares, lesquels écrivent des best-sellers rendant compte dans le détail de leurs pratiques sexuelles, sinon de leur “partouzes”. Et quand ces analystes sont juifs, c'est encore pire, qui contribuent ainsi à dérouler et déployer un tapis rouge aux pieds de l'antisémitisme de toujours, actif, physique et verbal. Dans l'histoire du monde intellectuel, on finit par comprendre la fascination de Hannah Arendt pour Heidegger, lequel l'a généreusement utilisée, d'abord physiquement alors qu'elle était jeune, fraîche et surdouée, puis, tout au long du temps, jusque dans la postérité, utilisée intellectuellement, pendant qu'il abaissait la pensée à n'importe quel prix, pour être reconnu seul philosophe du national-socialisme, au moins pour mille ans. Malheureusement pour lui, l'état-major intellectuel d'Hitler savait que la pensée heideggerienne n'était plus pure, depuis qu'il l'avait altérée en séduisant une élève juive. Mais par la suite, cela lui a bien profité en ce que Heidegger put laisser, sans même intervenir, ses admirateurs l'ériger en victime.
J'étais invitée à cette soirée Françoise Dolto, tout simplement en tant qu'analyste faisant partie, dans ce livre de correspondance, des passants et amis avec lesquels Françoise Dolto avait régulièrement correspondu. Sa lettre, en réponse à la mienne de 1983, portait sur des questions précises de travail analytique (cf. le n° 63 de Florilettres, revue de la Fondation La Poste et infra sur le site, reproduction manuscrite de F. D. et autres textes).
Depuis ce temps là la, à la fois, rédactrice en chef, directrice de publication, administratrice du site, potentate éditoriale de La Fondation, ne cesse de créer des ennuis à notre association et à son site Internet. Il semblerait, au vu de tous ces intitulés, avec ce qu'ils concentrent de pouvoirs éditoriaux, qu'elle est investie d'un Moi volumineux tel un ballon dirigeable. Pour simplifier, je l'appellerai donc Moi. À un tel point que notre association doit maintenant, par précaution, remettre tous ses documents, sous toutes leurs formes, en plus du copyright, à son avocat, et ceci dans le seul but de garantir l'originalité, le contenu, le graphisme même, de ses publications et titres pourtant déjà déposés. Et ne faire circuler ce qui participe des projets et du carnet d'adresses de l'association, qu'en interne, par voie postale, ce qui nous oblige à contrer point par point son but, son espérance, inscrits dans les statuts et reporté sur la page d'accueil du site.
Ah, ce “Moi” que Freud appelait “Auguste”, l'Auguste du cirque !
Pour les motifs indiqués ci-dessus et, notamment un “emprunt” par Moi de titre déposé, j'avais prié Moi de ne plus se mêler de psychanalyse. De quel droit ? Et bien, lorsque Catherine, dont j'avais communiqué les coordonnées à Moi, pour une interview dans Florilettres, m'avait demandé ce qui faisait que je croisais par La Poste, je lui avait brièvement répondu qu'il s'agissait d'une affaire délicate à résoudre, ressortissant au secret professionnel, ce qu'elle avait parfaitement entendu. On se rappelle que l'oncle de Catherine, le frère de Françoise Dolto, avait été Ministre des Postes et Télécommunications. Une jolie petite place, qui ouvre sur le Parc Georges Brassens, porte son nom. J'avais aussi demandé à ceux des analystes responsables d'édition, ou professionnels de la publication, de bien vouloir se montrer absolument discrets en ce domaine de l'analyse personnelle, de sorte de me permettre de porter, tranquille, ce travail en cours à son terme. C'est comme si je leur avais joué de la flûte dont, du Banquet de Platon, la joueuse est chassée, puisque l'on se réunit entre philosophes, joyaux de la pensée.
Bref, la psychanalyse devant essayer de ne pas perdre de vue le transfert négatif dont elle fait l'objet, je dirais que la psychanalyse n'intéresse pas plus Moi que la sortie de sa première dent, et qu'elle n'a jamais lu une ligne de Freud. Elle appartient à cette génération qui picore tout et n'importe quoi sur Internet, avec une certaine dextérité, le sens de l'esthétique, l'addiction à l'image. Or, la psychanalyse, c'est le goût du travail honnête, de la recherche toujours inachevée, elle est exigeante, particulièrement dans le domaine du courage obligé pour faire face aux démons intérieurs de la névrose. Elle n'est donc pas forcément rentable financièrement. D'où le transfert négatif qu'elle suscite assez largement depuis plus d'un siècle. À ce propos, de non rentabilité de Freud, j'ai entendu récemment, dans une assemblée d'analystes, une analyste déclarer que l'on ne parlait plus de névrose aujourd'hui, ce n'est plus “up to date”.
Revenons à Moi, qui fait un usage de la psychanalyse assez répandu d'ailleurs dans les milieux qu'elle fréquente, un usage grossier, “people”, vulgaire, inculte. Un usage qui consiste à épandre des ragots bien snobs sur la personne de Freud, des siens et de leur entour. De mon côté, mais je le sais, je ne suis pas “in”, je trouve que ces postures manifestent un manque intrinsèque de respect envers un homme dont l'honnêteté et la probité intellectuelles, la qualité et l'importance de sa découverte, l'éthique, sont ce que chez les Juifs on nomme celles d'un “Mensch”. Il n'est pas utile ici de rappeler à quel point Freud avait la publicité et les médias, la scène publique, en horreur, qui sont tout à fait normalement incompatibles avec l'essence même de l'analyse et de sa transmission.
J'en finirais là avec les méthodes vomitoires de ce Moi en forme de volumineux ballon dirigeable, si elle ne se préparait pas à “consacrer” un numéro spécial de la revue, dont elle détient tous les pouvoirs, de La Fondation, à la sortie de la traduction de la correspondance Freud / Flieb en français. Les membres et auteurs de notre association sont très curieux de savoir à quel/le analyste spécialiste de Freud, Moi s'adressera pour réaliser son interview bi-mensuel, histoire, c'est la loi du marché, de faire vendre Freud à l'encan, à la mode américaine que l'on décrie en France à la mesure de ce qu'on la jalouse et qu'on l'imite avec un bon demi siècle de retard. En effet, pour ce qui est du contenu cette correspondance à peu près complète Freud / Flieb, vu la place capitale qu'elle occupe dans l'histoire de la théorie et de la pratique analytiques, il est bien évident que des analystes n'ont pas attendu plus de 20 ans qu'il soit traduit en français, pour s'y référer à partir de l'édition allemande ou/et anglaise et en travailler le texte, décrivant l'évolution de la théorie, les embûches de la pratique naissante, la genèse des concepts... La psychanalyse est un métier où nous ne pouvons faire l'impasse sur une connaissance de l'allemand, la langue de Freud, et, ou à défaut, de l'anglais.
N'ayant plus l'intention de m'attarder sur cet épisode, je me suis désabonnée de la revue de La Fondation La Poste et ai supprimé les coordonnées de Moi du répertoire d'adresses, privées et publiques. Un an, c'est beaucoup.
Pour l'analyse, voir ce qui ressortit au secret, exhibé par des personnes dont le seul but est de se mettre, au nom de la psychanalyse, personnellement en valeur, ce qui est assez niais tout de même, ne tient pas bien longtemps la route dans les archives des agissements humains. Du côté de l'analyste, la question du secret est très simple, sa limite est résumée dans l'exergue de ce petit récit, par Bertha Pappenheim, à qui Freud était aussi reconnaissant qu'à Breuer pour lui avoir ouvert la voie royale de l'inconscient.
Le secret professionnel, pour l'analyste, ne porte que sur la vie sexuelle de chaque être humain, qui s'organise autour de l'interdit de l'inceste. Quand il s'agit d'éthique,“Personne n'a le droit de rester silencieux... ”
Au sujet de ces notions, un autre souvenir, plus ancien. Un soir, dans son séminaire régulier, l'Analyste de l'École qui introduisait aux “mathèmes”, décoda pour ses auditeurs, avant de la commenter une des formules algébriques de Lacan en ces termes : “Il y en a un qui dit non à la psychanalyse.” Or, le texte voulu par Lacan était : “Il y en a un qui dit non à ce qui n'est pas la psychanalyse.” Quel lapsus formidable ! Quel camouflet pour le Grand Autre ! On peut alors penser que c'est ce style de lapsus, autrement dit la vérité sortant toute seule, qui fit que Lacan humilia cette même analyste, africaine de surcroît, en public, au mépris de l'effet que cela produirait sur le transfert de ses analysants passés et en cours, lorsqu'elle présenta devant un vaste hémicycle son essai d'un “mathème de la perversion”, assez intéressant pour qui considérerait que la perversion a infiltré la psychanalyse.
De l'éthique, passons pour terminer à son antonyme, à l'idéologie. La fixation du sens marxiste de ce concept est contemporaine du temps de Freud, lequel utilise plus généralement le concept de religion, jusqu'à ce qu'il définisse lui-même la Weltanschauung en 1933. À la lumière de ce que nous avons appris depuis, le texte freudien, quand il intéresse les pulsions et la psyché des masses humaines, gagne souvent en clarté si l'on substitue au terme de religion celui d'idéologie.
Qu'est-ce l'idéologie pour la pensée, en allemand, de Freud ?
Pour la philosophie, les arts et lettres, les sciences humaines... Weltanschauung se traduit le plus souvent en français, soit par conception du monde, soit par vision du monde.
Pour le marxisme, le concept de Weltanschauung est traduit par idéologie.
Pour Freud, “Weltanschauung est, je le crains, un concept spécifiquement allemand, dont la traduction en langues étrangères semble faire difficulté. Si je tente d'en avancer une définition, elle [vous] semblera certainement malhabile. Voici donc mon point de vue : je pense qu'une Weltanschauung est une construction intellectuelle qui résout tous les problèmes de notre existence [Dasein] de façon à les rendre cohérents, à partir d'une hypothèse parfaitement conçue et organisée, selon laquelle aucune question ne saurait rester ouverte, pourvu que l'on assigne une place déterminée à ce qui intéresse chacun.”
Peut-être est-ce cette réflexion qui amenait Freud à écrire que, pour ce qui concerne la politique, l'appréciation par l'analyste est que “La psychanalyse doit être de couleur chair.”
Réflexion, sens de la pensée, bien utiles en ce moment de préparation, dans la turbulence, des élections présidentielles françaises. Dans le fond, n'est-ce pas un devoir de voter utile dès le premier tour, chacun/e “en son âme et conscience” ? Les guerres pour l'hégémonie d'une personne au prétexte qu'elle incarne une idéologie, les guerres tout court, issues des jalousies infantiles non analysées, lavent depuis l'aube de l'humanité parlante le cerveau des “peuples”. Un peuple s'identifie à l'un, à l'autre, homme ou femme, à un détenteur de pouvoir, se masse pour l'idéaliser, comme quand, enfant, il avait besoin, pour ordonner son psychisme, de construire à partir de son entour immédiat, le cadre où inscrire une image de soi-même. Bien sûr “le peuple” est instrumenté, en ceci que les pulsions sadiques et masochistes sont tenues en perpétuelle excitation par les détenteurs de pouvoir, si bien qu'il ne cesse de se faire la guerre familiale, civile, mondiale, de s'entretuer. “Le peuple” est en permanence entretenu par les pouvoirs dans un désarroi qui profite à l'instauration de dictatures.
Avant les élections, écoutons, lisons les discours, les programmes, leur sens, leur contenu, très attentivement, se gardant de se laisser hypnotiser par les images et les slogans. Après, selon la personnalité élue, “le peuple” la prendra au mot, jugera sur pièces, et s'il n'est pas content il fera en sorte de changer de gouvernement. Faute de quoi, les chamailleries infantiles laisseront toute leur place aux guerres des gangs, où l'on ne se gêne pas pour s'associer à une famille adverse afin de faire tomber un concurrent de sa propre famille (à droite, à gauche etc.) comme cela s'est produit en 1981, puis en 2002.
M. W.