«
Pour servir
la
Mémoire... »
suivi
de
Max
Arian
Société
Anonyme
Les
assez nombreuses personnes de mon entourage,
en majorité non-juives, s’étant
rendues au Mémorial de la Shoah,
ont été surprises - pour ne
pas dire heurtées - par l’interview
qui passe en boucle de Simone Veil, où
elle déclare que si elle n’a pas
été sélectionnée
c’est parce qu’elle était “jeune
et belle”.
Voilà
qui est
très aimable pour ses camarades de
convoi, assez particulier puisque les femmes
n’ont pas été rasées.
Voilà qui est très aimable
également pour Milena Jesenska, Irène
Nemirovski et autres personnalités
de référence, mais d’abord
et surtout pour toutes les femmes, chaque
femme, assassinées, qu’elles aient
ou non des cheveux magnifiques, qu’elles
soient ou non “jeunes et belles”,
qu’elles soient ou non supposées
objets fantasmés de consommation
sexuelle.
La
plupart des plus de 860 femmes de ce convoi
- n° 71, du 13 avril 1944 -, furent
gazées. Étaient-elles toutes
“trop moches” ? Seules 70 d’entre
elles sont revenues.
Et
surtout, cette appréciation égotiste
contredit radicalement ce fait majeur, qu’il
n’y avait justement, concernant chaque Juif
au monde, enfant, femme, homme, de tous
âges, jusqu’aux nourissons nés
hors et dans les camps, pas de pré-selection
pour, un à un, les attraper et les entasser tous, sans distinction,
dans les chambres à gaz.
Évidemment,
les enfants d’Izieu, pour ne relever
que ce convoi qui a obligé au Procès
Barbie, comme tous les enfants, de
tous les convois, n’étaient pas supposés
être des objets fantasmés de
consommation sexuelle... Il y eut quand
même des exceptions, des utilisations
sexuelles d’enfants - Marcel Stourdzé
peut en témoigner -, mais pendant,
ou après consommation, ces enfants-là
étaient instantanément assassinés.
Note
sur le mot «
Mémoire »
: le sous-intitulé du volume de la
Chronique du Procès Barbie est d’une justesse exemplaire : « Pour servir la mémoire
»,
tout court, sans collectivisation du concept.
Bien
cordialement, M. W.
ø
Note liminaire
En 1992, l’association, dont l’objet est de permettre
la circulation de documents relatifs à
la psychanalyse pour la garder vivante,
liée à l’histoire de la déportation
« pour servir la mémoire... »
publiait
la traduction en français
de À
la bonne adresse,
de Bert Kok, “ ... ce magnifique
Jeu d’(e Grands) Enfants, grâce auquel
tant de jeunes vies furent sauvées [et qui]
leur a coûté horriblement cher,
à eux et à ceux qui s’étaient
engagés dans le sauvetage des mômes.”
Ce récit pour tous, à partir de 11 ans
environ, qui retrace parmi d’autres son
histoire personnelle d’enfant caché
par un groupe de jeunes, parfois très
jeunes, non-juifs, s’étant spontanément
constitué et mobilisé pendant
la 2e Guerre Mondiale en dehors
de toute institution idéologique,
m’avait été passé par
Max, un ami rencontré à Amsterdam
quand nous avions 20 ans.
Que son action se déroule en Hollande ou ailleurs
en Europe, n’aurait pas dû relever
d’une attention particulière, puisque
ce récit, unique en son style, a
valeur d’exemple universel. L’ostracisme,
quand il s’agit de la Shoah, de courage
et de solidarité, s’apparenterait
plutôt à de l’indécence.
Et pourtant...
Ce récit, largement offert aux institutions et
personnalités de référence
n’a, publiquement, intéressé
personne, ni les psychanalystes, pas un
éditeur, encore moins les historiens,
pas plus que les responsables politiques
successifs de l’Éducation nationale
et de l’Enseignement supérieur...
Comme toujours, la seule difficulté pour réaliser
ce travail était le manque d’argent,
et donc l’absence de relecture par un correcteur
professionnel, et une reliure
par un imprimeur professionnel. Quant à
la diffusion, compte-tenu des tarifs, inutile
de l’envisager autrement que par nos propres
moyens.
En 2003, « À
la bonne adresse » connut une
seconde publication par l’Harmattan (Éditions
à compte d’auteur bien connue), intégrée
dans la deuxième partie d’un volume
de quelques principales traductions psychanalytiques
que j’avais faites, pour servir l’histoire
du mouvement analytique, ses écueils,
l’évolution de la théorie
du vivant de Freud et après Freud,
sous le titre :
Les traductions
de
ψ [Psi]
LE TEMPS DU NON
Freud et Jung à Clark • 1909
La libido chez Freud et l’Éros chez
Platon
De la formation analytique
À la bonne adresse
Comme autrefois pour «
Histoire de Louise »,
édité au Seuil (cf. infra),
les textes d’analystes remarquables, élèves
de Freud, n’ont, publiquement, intéressé
personne (cf. supra).
Quant à « À la
bonne adresse »,
aucun écho. Pourtant, en 2003, la
Hollande était l’invitée privilégiée
du Salon du Livre : le récit, «
À la bonne adresse »,
n’y a pas été présenté
par l’Harmattan.
Par contre il semblerait que, pendant 16
ans, dans un domaine plus individuel, ce
récit ait “inspiré”
(!) ce qu’il faut bien appeler, et l’on
voudra m’excuser l’expression peu élégante,
des “pilleurs de troncs”.
Inexplicablement, en France et encore très récemment,
certains milieux de la déportation,
certaines personnalités écoutées,
taclent et retaclent la Hollande au cours
de cérémonies panthéonesques,
de manifestations commémoratives
publiques, ainsi que par de copieux articles
à épisodes sur plusieurs mois
dans des revues ou bulletins mensuels spécialisés.
Il est permis de se demander pourquoi.
Nous n’avons aucune réponse, ni aux blocus ni
à l’ostracisme, plus précisément,
s’il y en a une, nous ne souhaitons pas
en prendre connaissance.
Une génération s’est écoulée
depuis que ce “Petit livre”
est paru en 1985 en Hollande, et fut traduit
presque simultanément en Allemand.
En voici donc la postface, par Max Arian,
qui elle, n’a pas pris une ride, comme on
dit.
Postface
Société
Anonyme
...peut-être y aura-t-il un jour quelqu’un
pour écrire ce petit livre sur les
enfants Juifs en ce temps-là... Dr.
J. Presser • Ondergang (Clandestinité)*
Dans son ouvrage en deux volumes, Ondergang,
J. Presser relate la déportation
et l’assassinat de plus de 100 000 Juifs
néerlandais par l’Occupant allemand
pendant la Seconde Guerre Mondiale. S’il
n’a pu consacrer que quelques pages à
ces enfants, il estimait pourtant que leurs
vies justifiaient tout un petit livre. Ce
livre devrait être écrit par
quelqu’un qui ne s’attacherait pas à
faire de l’esbroufe en accumulant les détails
chargés d’émotion, mais à
retracer l’ordinaire, la simple vie de tous
les jours.
Dans « À
la bonne adresse », Bert Kok décrit
un fragment de cette histoire et de cette
quotidienneté. Il raconte comment
250, parmi les 4500 enfants juifs planqués
aux Pays-Bas, furent sauvés. Ces
enfants furent mis en sécurité
dans des familles habitant les provinces
du Limburg et de l’Overijssel, par un groupe
de jeunes, hommes et femmes, nommé
N.V. (Naamloze Vernootschap - Société
Anonyme). À l’exception d’une fillette
qui mourut de maladie, tous les enfants
ont survécu à la guerre.
J. Presser - Ondergang, Amsterdam, 1965 (épuisé). Traduit
en anglais par A. Pomerans sous le titre
Ashes in the Wind - The Destruction of Dutch Jewry, Souvenir Press, 1968 (épuisé).
J’étais l’un de ces 250 enfants. Vers
la fin 1942, je n’avais pas encore trois
ans et ne garde de cette époque que
quelques vagues souvenirs. Début
1942, mon père avait été
déporté par les Allemands
au camp de Mauthausen**.
En 1985,
date de la parution de À la bonne
adresse en Hollande, Max ignorait encore
que son père avait été
déporté et était mort
à Auschwitz parce que Juif, non à
Mauthausen comme politique. Il ne l’a appris
que récemment.
Il avait osé lutter contre le NSB
(National Socialistische Beweging - Parti
Nazi Néerlandais), avec sa chasse
aux Juifs. Entre temps ma mère avait
également été arrêtée.
On l’avait emmenée au Hollandse Schouwburg
où les Allemands parquaient
les Juifs avant de les déporter dans
les camps de concentration 1.
Elle parvint à faire passer un message
en fraude, dans lequel elle demandait que
son enfant soit mis en sûreté.
Par chance, mon oncle connaissait monsieur
de Bruin (dont le vrai nom était
Joop Woortman), qui fit le nécessaire
pour que je sois retiré de la crèche
où l’on m’avait placé - et
avec moi beaucoup d’autres. La crèche
faisait face au Schouwburg. Je fus expédié
par le train, dans le Limburg. C’est ainsi
que je fis mon entrée dans une sympathique
famille de Heerlen, et y vécu jusqu’à
la fin de la guerre.
Le contact avec mes parents d’adoption s’est
solidement maintenu, même après
la guerre, quand ma mère, qui avait
survécu, me repris chez elle à
Amsterdam. Dès lors, je passai presque
toujours mes vacances à Heerlen avec
eux.
Je me suis rendu compte fort tard que j’avais fait partie d’un groupe
d’enfants sauvés d’une mort certaine.
Ce
qui n’allait pas de soi. Une organisation
avait donc été nécessaire
au départ pour réaliser ce
sauvetage.
Comment se fait-il alors, qu’il ait fallu
attendre 1982 pour que l’on parle enfin
de la N.V. ?
C’est tout simple. Les membres du groupe
s’étaient préservés
contre toute manifestation de reconnaissance
à leur égard. La guerre finie,
ils étaient heureux d’avoir accompli
leur tâche et ne désiraient
pas qu’on leur en rende hommage. Ne s’étant
jamais identifiés à des résistants,
ils évaluaient leur aventure à
l’aune d’une simple “aide humaine”.
Pourquoi s’étaient-ils tout spécialement
occupés d’enfants ? Eh bien
d’abord, parce qu’à cette époque,
ils étaient eux-mêmes tellement
jeunes qu’on leur prêtait à
peine attention...
Les enfants sont l’avenir d’un peuple, telle était leur règle de conduite.
Quand on manque de moyens pour sauver tout
un peuple, essayons au moins de sauver les
enfants.
D’autre part, il était beaucoup plus
facile de trouver une planque aux petits
qu’aux adultes ou aux familles entières.
En 1982, les membres encore en vie du groupe
N.V. ont enfin accepté de recevoir
une distinction de la part de l’État
d’Israël. Ils ont cédé
devant l’argument selon lequel, par cet
hommage posthume, la mémoire de leurs
camarades assassinés serait une garantie
contre l’oubli.
De la diplomatie, un véritable art
de la persuasion et tout une année,
furent nécessaires pour les convaincre
qu’il était important de publier
le récit de leur travail pendant
la guerre. Leur histoire montre, aujourd’hui
encore, que personne n’est impuissant, ni
ne doit renoncer ou assister passivement
à l’oppression, la discrimination,
la ségrégation, l’extermination
que subissent les membres d’une minorité
vivant à nos côtés.
Point n’est besoin d’être né
héros, pour s’opposer à de
pareilles choses.
Pendant la Seconde Guerre Mondiale, beaucoup
de Néerlandais ont feint de ne rien
voir ni savoir de la persécution
et de la déportation des Juifs par
les nazis. Par contre, il y en eut d’autres
qui ont tenté tout ce qui était
en leur pouvoir, tels ceux qui ont recueilli
des enfants dans leur famille et, souvent,
se sont mis à les aimer. De même,
ceux qui ont contribué d’une façon
ou d’une autre à sauver des vies
humaines. Que n’y en eut-il davantage ?
Tant de Juifs néerlandais n’auraient
alors pas été voués
à la mort.
Ce récit du sauvetage des enfants
témoigne, si besoin en était
encore, que les Juifs néerlandais
ne se sont pas laissé déporter
aux camps sans résistance. Bien au
contraire, dans et alentour le Schouwburg
d’Amsterdam, de multiples actions furent
menées par les Juifs pour aider les
leurs à ne pas se faire prendre.
La crèche, située exactement
en face du Shouwburg, devint le lieu de
convergence où les enfants juifs
étaient provisoirement planqués
- au nez et à la barbe des soldats
allemands. Et si tout cela fut possible,
ce fut grâce aux jeunes femmes qui
y travaillaient. Grâce également
à Walter Süsskind, auquel les
Allemands faisaient confiance alors qu’il
ne cessait de leur jeter de la poudre aux
yeux.
Avec Theo de Bruin et le groupe N.V., bien
d’autres encore sauvèrent des enfants
juifs. Ainsi le groupe de Piet Meerburg
et le Utrechtse Kindercomite (Comité
d’Utrecht pour les enfants). Ces groupes
appelaient les enfants bruns, “typés”,
que l’on envoyait dans le Limburg, “Ersatz
de café”, et les blonds, ceux
du nord, “Ersatz de thé”.
Avec d’autres, parmi ces enfants sauvés,
nous avons poussé certains membres
du groupe N.V. à écrire leur
aventure, et ce fut presque contre le gré
des auteurs que je publiai, en 1983, leur
récit dans “De Groene Amsterdammer”.
Un an plus tard, Eefje Smidt,
présentatrice à la
radio, bien connue en Hollande, qui avait
été elle-même une enfant
sauvée par la N.V., fit une émission
radiophonique émouvante sur le travail
du groupe.
Tout ce matériel a été
mis à la disposition de Bert Kok,
pour lui permettre d’écrire À
la bonne adresse. De son côté,
il a multiplié les entretiens et
s’est rendu sur les divers lieux historiques.
Les noms de Hannah, Lowie, Ruth et ceux des
autres enfants de ce livre sont des noms
de fiction, mais ce qui leur est arrivé
est arrivé réellement. Quant
aux membres du groupe N.V., Bert Kok s’en
est tenu aux faits. Théo de Bruin
et sa femme Semmy, Gerard et Jaap Musch,
Dick Groenewegen van Wijk, Annemarie van
Verschuer, la famille Vermeer - le père,
Wilhem, la mère, Truus, leurs enfants,
Piet, Mieke, Truus et son fiancé
Cor Grootendorst - Herman Flim de Nijverdal
et Ben Fritz, Virrie Cohen, la directrice
de la crèche, sont décrits
tels qu’ils ont vécu et travaillé
pendant la guerre. Tous les membres du groupe
n’ont pu être mis en scène
dans ce livre. Par exemple Koos Postuma,
mort en mars 1945 lors d’un bombardement
aérien, ou Ida Roose, plus tard épouse
de Dick qui, ayant entendu parler des enfants
à Nijverdal, était sur le
champ partie à Brunssum apporter
son aide, comme le firent également,
au début, deux amies de Gerard, Rebekka
et Joske, qui accompagnaient les enfants
dans le Limburg.
Si les enfants ont à peu près
bien passé la guerre, il n’en n’a
pas été de même pour
certains membres importants du groupe N.V.
Le 10 mai 1944, Dick fut soudain arrêté
à Brunssum. Par chance, il avait
réussi à faire disparaître
du matériel compromettant. Cela ne
lui épargna pas l’internement dans
un camp de prisonniers de guerre en Allemagne.
Il parvint à s’en évader.
C’est sur le récit de son évasion
que commence «À
la bonne adresse ».
Le même jour que Dick, le 10 mai 1944,
Gerard Musch fut arrêté à
Amsterdam - sans que les deux arrestations
aient de lien entre elles. Gerard est resté
jusqu’à la fin de la guerre au camp
de concentration d’Orianenburg, près
de Berlin, où il a effroyablement
souffert. Il est mort en 1979.
Le 8 septembre 1944, son frère Jaap
Musch a réussi in-extremis à
faire fuir les enfants avec lesquels il
vivait dans une maison de vacances de Nijverdal.
Lui-même, resté sur place,
fut déporté par les Allemands
au camp d’Ommen. Il s’est tu sous la torture.
Il a été assassiné.
Le 19 juillet 1944, à Amsterdam, les
Allemands ont fini par arrêter Theo
de Bruin, qu’ils avaient recherché
longtemps à cause de ses innombrables
faits de résistance. On a espéré,
le temps d’une illusion, que Walter Süsskind
pourrait obtenir la libération de
Theo. Mais Theo fut déporté
en Allemagne et assassiné au camp
de concentration de Bergen-Belsen.
Quant à Walter Süsskind, il avait
toujours refusé de se planquer lui-même.
Walter, sa femme et sa petite fille furent
tués à Auschwitz.
Ce magnifique Jeu d’(e Grands) Enfants, grâce
auquel tant de jeunes vies furent sauvées,
leur a coûté horriblement cher,
à eux et à ceux qui s’étaient
engagés dans le sauvetage des mômes.
Que sont devenus les Hannah, Lowie, Ruth,
dont les parents ne sont pas rentrés ?
Peut-être y eut-il une polémique
à leur sujet, comme ce fut le cas
pour de nombreux enfants juifs adoptés.
Auront-ils trouvé refuge dans un
orphelinat juif ? Des membres de leur
famille se seront-ils manifestés,
qui auront séparé Lowie et
Hannah de Ruth pour les envoyer en Israël ?
Les enfants auront-ils essayé d’oublier
l’épouvantable temps de guerre et
en auront-ils jamais parlé ?
Mais aujourd’hui, quarante ans plus tard,
leurs propres enfants sont adultes, et ces
événements resurgissent-ils
comme un monstrueux cauchemar, hors de l’entendement
qui, il n’y a pas si longtemps encore, s’est
inscrit dans la réalité ?
Et l’est toujours, pour les enfants dans ce monde.
Max
Arian
Dick Groenewegen van Wijk est mort
en juin 1985, peu après la parution
de la première édition de
ce livre.
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