Psychanalyse et idéologie

Nino Mucci • Roméo et Juliette en Tunisie

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Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • L’innommable

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object

Samuel Beckett  « The Unspeakable one »

Underlined in « Jargon of the authenticity » by T. W. Adorno • 1964

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Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.

Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil is made somewhere. Neither the sex or the age, nor the religion or the political party can be an excuse.

Bertha Pappenheim

point

ψ  = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s’adresse à l’idéologie qui, quand elle prend sa source dans l’ignorance délibérée, est l’antonyme de la réflexion, de la raison, de l’intelligence.

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© Nino Mucci / 2003

Roméo et Juliette en Tunisie

Nous avons reçu cette lettre écrite directement en français

 

Introduction

 

Une jeune fille tunisienne, attristée par une situation familiale malheureuse, fait une rencontre qui change sa vie dans la Cathédrale de Tunis, en mai 2002. Elle a récemment été affectée par une crise morale et psychologique due au divorce de ses parents et en ce temps où elle recherche vraiment le conseil de Dieu et une lumière dans sa vie, elle rencontre un homme chrétien qui pourrait vraiment l’aimer et l’aider. Le tragique fut qu’elle n’a pas trouvé une voie à son désengagement du préjugé islamique : de plus en plus anxieuse et psychologiquement incertaine, après trois mois passés loin de sa famille à la recherche d’une issue à son enfermement social, vivant un rapport passionné avec l’homme qui a promis de l’épouser, elle s’est sentie très déprimée. Puisque le gouvernement tunisien refuse encore aujourd’hui d’entériner un acte de mariage entre un homme chrétien étranger et une femme chrétienne « nouvellement-née » c’est-à-dire convertie, la seule solution était de s’exiler à l’étranger. Or la jeune femme, Imén, ne pouvait pas facilement obtenir son passeport pour partir et en même temps elle ne pouvait se débarrasser des nombreux liens qui l’attachaient à une véritable embrouille de famille. Lors d’une visite à sa famille, effectuée sans rien dire à son ami, elle a trouvé une atmosphère très hostile. Peut-être elle imaginait-elle que sa quête de liberté finirait par être acceptée. Résultat tragique de sa démarche : sa famille l’a condamnée à l’asile psychiatrique, la mère, travaillant dans un service public d’aide sociale ayant pu facilement manœuvrer toute la situation, retirant totalement à la jeune fille toute indépendance future, toute décision individuelle, grâce à l’appui d’une commission gouvernementale qui l’a déclarée comme étant un cas de handicap nécessitant la mise sous tutelle. Aucune jeune fille, et Imén en particulier, ne mérite d’être considérée et traitée en tant que psychologiquement aliénée sous prétexte qu’elle a décidé d’épouser un homme chrétien et d’être elle-même chrétienne.

Par la suite, son jeune oncle, le frère de la mère, qui seul est écouté en tant que responsable, puisque c’est la seule figure virile dans une famille divisée, ayant fait des efforts pour comprendre la situation, s’efforça d’aider Imén et son fiancé à obtenir une chance d’être mariés civilement à l’étranger, en faisant promettre au fiancé d’assurer l’assistance psychologique nécessaire pour Imén. Hélas, cela n’a pas suffit pour faire fléchir la mère, qui n’aurait accepté le mariage - chantage typique, absurde et inacceptable de nos jours - qu’à la seule condition que le futur mari renie le christianisme et devienne musulman.

Cette société musulmane où vit Imén, son entourage même, la condamnent humainement, malgré l’évidence de cet amour partagé, qui n’a pu convaincre sa famille.

C’est ainsi que cet homme, triste et désespéré, a voulu écrire cette lettre afin de permettre au monde entier de mieux comprendre comment l’oppression humaine dans la loi islamique peut devenir un malaise désastreux dans la société tunisienne promise à la démocratie et à la liberté par sa nouvelle Constitution et dans les discours de son Président.

 

  

VIRGINITÉ, TRADITION ou FUITE : « Roméo et Juliette en Tunisie »

  

  Aujourd’hui je veux exprimer mes dernières considérations sur la malheureuse relation qui m’a vu, homme chrétien et italien de tradition catholique, engagé avec Imén, une jeune fille tunisienne, condamnée à porter définitivement la marque d’une maladie psychique. Elle est ainsi punie par son milieu familial de n’avoir pas voulu rester dans un rôle soumis de jeune fille musulmane.

Imén est exemplairement victime du vice radical de la société islamique, l’hypocrisie, condamnée à porter le masque de l’acceptation d’un code qui ne doit pas se discuter. Un code qui torture, en recouvrant les plaies des péchés humains et de la défaite morale d’une société qui ne sait pas se libérer des sources du mal qui la mine : indifférence humaine et autoritarisme.

Je me réserve le droit de publier librement ce texte, dans la mesure où aucune précision ne sera faite sur l’identité de la personne ou de sa famille.

Quelqu’un pourra se poser la question : pourquoi ne pas solliciter une intervention directe, en faisant un usage médiatique de ce “cas” précis ? Il y a là deux raisons principales. La première est l’extrême fragilité sociale de Imén, qui n’a aucune défense légale adéquate, du moment où elle est obligatoirement soumise à la tutelle de sa mère, qui refuse ma position, dans cette société encore fortement attachée à ses traditions islamiques où la relation de la femme musulmane avec un non-musulman n’a pas de reconnaissance de droit. De ce fait, la situation d’isolement de Imèn ne peut que s’aggraver. En deuxième lieu, ma préoccupation principale est de ne pas rendre pires les conditions psychologiques de Imén, en l’exposant à des pressions qui par ailleurs peuvent servir des fins exclusivement politiques.

Ma dénonciation se situe exclusivement au plan humain et elle me donne l’occasion d’approfondir le rôle de la tradition religieuse qui isole la femme des revendications plus larges dans le terrain de ses droits. C’est ici que justement que je voudrais montrer que cette dénonciation n’est pas purement faite de l’intérêt d’une satisfaction égoïste d’un besoin sentimental ou amoureux, mais de celui de l’extension d’un cas exemplaire à la tragédie humaine de tant de femmes tunisiennes comme Imén, privées d’un instrument de revendication sociale sur le terrain du droit civil au mariage.

Cela est une réalité brutale qui ne doit pas rester cachée au sommet international de décembre 2003 à Tunis, axé sur la relance du processus euro-méditerranéen sur les accords de protection des droits de l’Homme signés à Barcelone en 1995 par les Pays de l’espace méditerranéen, Tunisie incluse, naturellement. 

La souffrance que cette relation m’a causée et qui continuer de me causer m’est difficile à exprimer,  comme elle est difficile à concevoir pour qui n’est pas au courant des détails particulièrement humiliants qui la concernent. Je ne souhaite à personne de se retrouver dans la même situation et espère que la publication de cette lettre pourra contribuer à renforcer dans les cœurs de beaucoup de jeunes tunisiennes la conscience de l’oppression des droits humains contre leur liberté concernant le mariage. J’espère également que leur volonté de se libérer de toute hypocrisie sociale pourra un jour très proche les affranchir et leur permettre de conquérir la juste liberté.

Je me réserve ainsi de présenter des extraits de cette lettre aux associations internationales féministes et à ceux qui se battent pour les droits de la femme afin de pouvoir donner l’élan nécessaire aux réformes dans le contexte du statut de la femme et sur la base d’un article précis de la nouvelle Constitution Tunisienne.

Je me demande amèrement comment une telle méchanceté peut ainsi rendre une relation d’amour, toute sa richesse de sentiments, de contenus humains, en l’instrumentalisant de façon à s’approprier des avantages économiques ou matériels que le mariage prévu d’une jeune fille représente pour sa famille, tout en exerçant des privilèges religieux que la famille traditionaliste tunisienne prétend détenir absolument, et ce, en pleine contradiction avec le texte constitutionnel actuel.

Aujourd’hui la fin de la comédie tressée autour d’une relation qui a été dénuée de sa valeur profondément humaine, est marquée par mon refus total de vouloir accepter le chantage honteux d’une conversion clownesque à l’Islam, apte à satisfaire la vision idéologique d’une société aplatie dans le plus banal conformisme. Toute notre intimité ayant été marchandée à la lumière de cette réalité rudement égoïste, intéressée et calculatrice, comment ne pas considérer tout cela comme étant d’une grande vulgarité ? Imén est une fille malade à cause d’un entourage inhumain, à cause d’une sensibilité et une intelligence restées mortifiées par l’ombre obscurantiste des traditions qui ne collent plus à la réalité de notre temps et qui pérennisent le voile du silence, la soumission et l’incommunicabilité.

Il n’y a pour une jeune fille ni faute, ni erreur morale  dans sa décision de vivre une relation interdite malgré la mentalité sociale prédominante. d’accomplir l’acte charnel d’une amoureuse dans l’intimité d’une cohabitation de quelques mois, en s‘éloignant ou en fuyant son foyer familial, du moment que sa volonté est de concrétiser son désir d’union conjugale par tout moyen possible.

La faute morale est de l’autre côté, elle serait dans le recours au mensonge comme étant une obligation pour se protéger ou pour se justifier de ses actes.

Je ne trouve pas indigne ni illégitime le désir et l’aspiration d’une femme tunisienne de s’unir à un homme de religion différente de celle de sa famille ou de son clan d’appartenance, du moment qu’il s’agit d’une personne adulte et encore plus du moment où elle a exprimé clairement sa volonté d’être chrétienne et de désirer un mariage chrétien.

Je trouve au contraire inapproprié pour un Pays qui a ratifié une Constitution démocratique, inscrite dans la reconnaissance « globale et universelle » des Droits de l’Homme, de vouloir exercer un veto sur une union matrimoniale qui est pleinement légitimé du libre choix selon l’intention de l’Art. 16 de la Décl. Univ. des Droits de l’Homme et de l’empêcher au nom d’une foi religieuse qui n’est plus pratiquée ni désirée par la jeune femme en question, comme citoyenne jouissant de la parité des droits. Les déclarations à la Presse du Président de Tunisie Ben Ali ont exprimé maintes fois une leçon de démocratie et d’égalité entre citoyens hommes et femmes, mais la réalité dément ses paroles.

L’éditorial de La Presse, premier quotidien tunisien d’information, reportait samedi 8 mars 2003, dans un article consacré à l’allocution présidentielle lors de la Journée mondiale de la Femme, les remarques suivantes : « des efforts seront également déployés en vue de changer les mentalités par l’action de sensibilisation et l’éducation… », par rapport à l’égalité de chances dans le monde du travail. Ensuite : « ces importants acquis font que la femme tunisienne envisage l’avenir avec confiance et assurance, surtout que le droit à l’égalité effective est stipulé dans la Constitution et que les perspectives renouvelées devant la femme occupent, grâce à la volonté politique qui anime le Chef de l’Etat, une place de choix dans le programme présidentiel pour l’avenir. 

Le Chef de l’État Tunisien n’est pas seul à avoir déclaré textuellement l’égalité des droits stipulés dans la Constitution ; Mme Léila Ben Ali elle-même, épouse du Président de la République, a signé l’éditorial publié par la revue « Femme », organe de l’Union Nationale de la Femme Tunisienne, samedi 23 août 2003 à l’occasion de la fête nationale de la Femme, en marquant ces paroles assez importantes et lourdes de responsabilité : « …le renforcement des droits de la femme constitue, à n’en pas douter, une immunisation de la famille, en tant que cellule fondamentale de la societé, contre tout ce qui peut mettre en danger sa stabilité et sa cohésion, la promotion de la condition féminine étant, au surplus, une condition sine qua non du progrès de la société, de son épanouissement et de sa modernisation.» .

Ensuite Mme Ben Ali déclare expressément : « Autant la femme tunisienne est en droit de s’enorgueillir des acquis qu’elle a accumulés à l’ère du Changement, autant elle se doit d’être plus consciente de l’ampleur des paris nationaux à venir, et d’avoir une conviction plus profonde de l’importance du rôle qui lui incombe face aux enjeux futurs. (…)

En outre, elle est, aujourd’hui, investie de tous ses droits, depuis le droit au respect de ses spécificités jusqu’au droit de participation à la vie politique et à la définition des choix nationaux majeurs, en passant par le droit à la sécurité et à la cohésion familiale et sociale. »

Assez significativement, la “First Lady” de Tunisie nous rassure : « Fidèle à son passé réformiste, la Tunisie a réussi à mettre en place des conditions sociales et civilisationnelles qui ouvrent des horizons plus larges devant la femme, pour participer à la construction du présent de la Tunisie et de son histoire, en ravivant constamment en elle la flamme de l’ambition pour modeler son avenir … »

Je rends hommage à cette expression de bonne volonté politique, car à première vue on ne peut que s’associer au souffle de courage qu’expriment ces paroles généreuses, lesquelles toutefois devront vite être honorées par des reformes concrètes et visibles, pour ne pas les voir pas se faner comme fleurs de rhétorique - arrosées par le vitriol de la réalité quotidienne.

Car je trouve indignes de notre sensibilité humaine et tout à fait immoraux les agissements d’une famille tunisienne qui par un veto réligieux administratif boycottent et écrasent le droit sacré d’une jeune femme à réaliser son bonheur avec l’homme qui l’aime et qu’elle a élu pour sa vie. Et encore plus humainement intolérable de détourner toute tentative de sa part, dans le cas de Imén, d’exprimer librement ses propres décisions, par des allégations d’instabilité psychique et d’incapacité conséquente.  Jusqu’à en faire un fantoche incapable d’agir spontanément et d’exercer sa propre volonté, en l’assommant de surcroît par un lourd traitement de sédatifs.

Je crois que personne n’ignore aujourd’hui les effets catastrophiques de dépendance aux sédatifs, encore plus en raison du stress de la mécanisation et des formes d’aliénations des nos sociétés modernes, qui en favorisent la consommation et le recours continuel.

Par ailleurs, la Tunisie n’est pas avantagée comme l’est le monde occidental par des services médicaux préparés aux exigences de la psychothérapie – car la société même ne reconnaît pas son importance en n’estimant pas assez le rôle du psychothérapeute, en raison de certaines formes de tabou religieux. Les jeunes souffrants du stress familial et social sont souvent manipulés par des psychiatres « de fortune » sans aucune formation professionnelle solide et qui appliquent par conséquent des solutions expéditives, se limitant à tamponner avec des tranquillisants les symptômes du malaise psychique.

Dans la plus part des cas, il s’agit des jeunes plus sensibles – souvent des jeunes filles de tempérament vivace et socialement plus ouvertes – qui subissent les blessures dérivées d’un échec scolaire ou le mépris social à la suite d’un flirt malheureux ayant entraîné la perte de leur virginité. Régulièrement renvoyées chez elles avec une liste d’anxiolytiques à bon marché, la souffrance morale qui est à la base de leur détresse psychologique restant cachée à l’entourage, elles subissent en outre les conséquences des effets secondaires de tels médicaments qui à long terme vont compromettre leurs capacités scolaires et leur insertion ludique et sociale : somnolence, pertes de mémoire et de concentration, troubles de la vision et du sens de l’équilibre. Effets qui selon le Prof. Antoine Pelissolo, chercheur et psychiatre à l’hôpital de la Pitié à Paris – unique consultation spécialisée en France dans le sevrage des tranquillisants – s’ils ne constituent pas un danger pour la vie des patients, entraînent pourtant une dépendance plus longue à combattre que celle des drogues dures.* Le cas d’Imén s’inscrit dans ce cadre épouvantable, aggravé par les trop longues périodes de traitement systématique avec des substances – les benzodiazépines – qui ont compromis à jamais son évolution scolaire malgré ses brillantes ressources intellectuelles et créatives. À l’âge de vingt-cinq ans, elle ne réussira pas à franchir le cap du Bac, après une suite humiliante d’échecs aux examens.

Non, je le déclare, j’ai ne pas serré entre mes bras une folle, ni une femme psychiquement handicapée, car si avoir eu des fortes émotions, si aimer une personnalité particulièrement sensible, signifient pour cette mère et pour ces anxieux défenseurs de l’ordre tribal, maladie psychique, alors je l’ai moi-même. Mais alors, à eux de démentir la logique dont je suis capable et dont leur surdité par contre ne saisit pas l’enjeu.

Le recours à la maladie psychique est probablement l’arme la plus lâche et déloyale dont la famille d’Imén pouvait faire utilisation pour condamner à toujours sa liberté et lui ôter la possibilité d’échapper au conflit juridique que l’Etat Tunisien n’a pas encore résolu rationnellement à faveur d’une plus large liberté, bien qu’elle soit explicitée par sa nouvelle Constitution. En effet Imén avait exprimé dans une lettre adressée à sa mère son intention  de voyager à l’étranger pour réaliser son vœu d’une heureuse union dans un entourage plus favorable. Les agissements de sa famille sont lâches en ce qu’il enfoncent la malheureuse - j’utilise cette expression volontairement -, dans l’angoisse des sentiments de culpabilité auxquels elle ne peut se soustraire qu’en jouant la partie qui lui est assignée à l’avance, c’est à dire celle de victime d’un séducteur étranger hostile à la tradition musulmane. Le portrait ne pourrait pas être plus éblouissant, car il y a malheureusement une juxtaposition de faits contradictoires qui vont favoriser telle interprétation.  Et rien ne peut me peiner davantage que tels mensonges.

On serait en effet vraiment tenté de liquider toute la relation dans les termes d’un vulgaire opportunisme, car l’expérience et la réalité sociale tunisienne favorisent une telle lecture disqualifiante des relations mixtes entre une tunisienne et un homme étranger non musulman.  Mais les situations affectives et le relations humaines ont toujours des aspects trop subtils et des articulations complexes qui ne permettent pas des réponses univoques ou, pour ainsi dire, tranchantes. Dans des circonstances qui se reportent inéluctablement à une situation de souffrance, de repli identitaire et de victimisation, de réclusion forcée dans un ego quasi « préfabriqué » et aliéné à ses propres expériences et, ce qu’il est encore plus exaspérant, d’incommunicabilité, on est, je crois, vraiment exonéré de prononcer une condamnation morale directe, « ad personam », malgré – et je tiens à le souligner - on a fortement raison d’y voir un défaut moral.  Or quelle est l’origine du défaut moral et à qui appartient-il ?

Pour que le discours ne dégénère pas dans une amère invective vers l’« aventure à l’occidentale », autrement dit celle d’une femme tunisienne qui envisage un flirt avec un homme occidental ou encore le concubinage (illégal puisqu’au seuil de la prostitution), comme un tremplin pour amorcer un mariage dans le seul but de s’installer dans un Occident économiquement plus prospère et socialement plus tolérant, l’essentiel est d’analyser cette présence sociale qui n’est plus simplement accessoire.

Il y a certes un problème de prostitution. Mais c’est à l’État tunisien d’en combattre les cause pour essayer de la limiter. Notre devoir est approfondir l’analyse des facteurs matériels et émotifs qui exercent leur action délétère. Comment la jeune fille tunisienne devient-elle facilement victime de ce processus de désintégration morale et perd-elle dirait-on même sa capacité d’auto-estime ?

En vérité, le danger est énorme, parce que les structures éducatives et les valeurs morales sont assez conformistes d’un côté et de l’autre la tolérance humaine et la capacité de réintégrer moralement la femme considérée comme déchue, fautive  et débauchée est pratiquement inexistante.

Celui qui écrit a vécu encore d’autres situations aussi graves sur le profil humain et moral au point d’estimer nécessaire une analyse plus approfondie, peut-être par le biais d’une courageuse enquête sociale qui pourra dénoncer l’affreux chantage qui se vérifie dans certaines familles où sous le voile d’un respect des traditions, on manipule la vie déjà malheureuse de jeunes filles que l’on entraîne vers le chemin de la prostitution « de luxe », dans des grands hôtels ou par l’action des proxénètes, parfois au sein même de leurs propres familles.

Je suis témoin de cela aussi dans mes longues années de séjours en Tunisie et je crois qu’il y a une résistance par certains gouvernementaux à prendre des mesures immédiates contre de tels phénomènes de dégradation sociale. Car ce qui peut attrister davantage encore, c’est que l’on refuse par exemple de réparer un tel désastre en donnant une chance morale de « nouveau départ », par l’insertion, grâce à un mariage, dans une autre famille, quand par exemple la jeune fille a rencontré un partenaire qui comprend ses blessures, ses humiliations de jeune fille condamnée à subir le pouvoir destructif des menaces et des conditions de mauvais liens de famille, où elle était délibérément vendue comme une marchandise. Cette chance de nouveau départ est interdite par le chantage de la « conversion » islamique ou pire, par le refus total du mariage avec un homme chrétien ou occidental, au profit de la poursuite sur le chemin de la prostitution. Telles sont les situations dramatiques auxquelles on peut parfois assister et dans ce cas hélas l’élément religieux intervient comme justificatif même de tels crimes humains. On n’accepte pas la conversion de la jeune fille et son insertion dans le cadre d’une nouvelle appartenance religieuse sûrement plus tolérante, alors qu’on estime « plus juste » leur vie d’esclavage.

[...]

* Voir article de Caroline Tossan, « La France sous tranquillisants », Sélection, 1996




                             
ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
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