Psychanalyse et idéologie

Psi . le temps du non

Micheline Weinstein • Qu’est-ce que la Psychanalyse ?

Ø

Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • « L’Innommable »

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down the worshipped object
Samuel Beckett • “The Unspeakable one”
Underlined in « Jargon of the authenticity » by T. W. Adomo • 1964

Ø

Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.
Nobody has the right to remain silent if he knows that something evil is being made somewhere. Neither sex or age, nor religion or political party is an excuse.

Bertha Pappenheim

© Micheline Weinstein
Décembre 2006

Qu’est-ce que la Psychanalyse ?

 

Bien entendu, cela va sans dire, selon ce que je pense et qui n’engage que ce que je dis, en langue courante.
La psychanalyse n’existait pas du temps de Napoléon. À un siècle près de sa naissance, peut-être la psychanalyse aurait-elle pu l’aider à ne pas verser dans la mégalomanie la plus ridicule mais aussi la plus tragique.
Psychoanalyse • Psychoanalyse, en allemand, est un mot composite forgé par Freud en 1896, et qui signifie analyse de la psyché humaine. L’analyse n’est donc pas une “étude de” ni son “discours”, comme l’indique le suffixe “logos” dans le terme psychologie ; ni un médicament chimique de l’âme, que l’on trouve dans celui de psychiatrie, pas plus que dans les autres multiples préfixes ou suffixes.
Le concept d
e Psychoanalyse n’existait pas avant Freud. Le mot lui-même non plus puisque c’est Freud qui l’a trouvé, au cours de sa recherche au trésor.
Analyse, dans le langage courant, s’est référé au départ à la chimie, où cela signifiait, “action d’identifier dans une substance les éléments constituants et d’en déterminer la teneur.” Cette définition a permis de libérer le concept d’analyse de son domaine d’application d’origine pour le rendre vivace dans d’autres disciplines. Ainsi, l’analyse de la psyché, la psychanalyse en français, qui a perdu son “o”, au moins en français et en portugais, grâce à un psychiatre suisse fervent adepte du national-socialisme dès avant 1933, s’intéresse à la substance, à l’essence, psychique, au moyen des outils de travail de la pensée, dont le résultat, les échecs et les gloires, se transmettent, s’échangent, par le langage parlé et écrit.
Freud a inventé la théorie de la psychanalyse à partir de sa pratique qui, selon lui, devait parvenir à neutraliser la douleur de vivre d’un être humain, mais qui se heurtait à des difficultés, à une énigme, devant lesquelles tous les médecins de l’âme ou d’autre chose, qu’ils soient médecins ou autre chose, avaient échoué, ou auxquelles ils n’avaient pas pensé.
La voie royale qui mène à l’inconscient, pour faire évoluer les sciences de l’esprit humain, fut ouverte en 1881 au jeune Freud par Joseph Breuer, de génération précédente, lequel n’était pas n’importe qui à Vienne. Breuer percevait que la confiance, l’écoute, dont Bertha Pappenheim avait besoin pour être entendue sur la vérité de la vie sexuelle infantile, laquelle engagera par la suite la vie amoureuse, amicale, sociale, butait sur un écueil qui avoisinait étroitement le langage. La langue allemande, sa langue source, avait quitté Bertha Pappenheim. Alors, Bertha Pappenheim expliquait à Breuer que cela se manifestait, non seulement physiquement, par la conversion hystérique, mais à parts égales, avant même qu’elle n’en prenne conscience, par l’amnésie, par des rêves apparemment insolites, les idées assez folles, des phrases et des mots déjà tout faits, tout crus, pas toujours en usage dans aucune langue... venus elle ne savait d’où... elle ne parvenait pas à en trouver la clef, alors elle demandait de l’aide, puisque sa souffrance était difficilement supportable.
Chaque soir, Breuer parlait à Freud de cet écueil, de cette énigme.
C’est par la langue allemande que Freud a pu en transmettre la clef. Freud, bien qu’il les parlât peu, était à l’aise également avec l’entendement de l’anglais, du grec, du latin, de l’italien, du français et, dans un domaine plus privé, du ydish...
Il incombe donc à l’analyste, dans l’apprentissage du métier, pour essayer d’apporter, à partir de sa pratique, sa petite pierre à la théorie toujours en évolution, de s’instruire en langues, amies et ennemies, qui constituent le patrimoine à la fois individuel et collectif, non pour échanger verbalement les potins de la vie, mais pour entendre la langue, avec sa syntaxe, sa musique et son sens, de l’autre qui n’est pas soi, donc ne pense pas comme soi. La langue du petit autre.
La Voix du Grand Autre, pour les lacaniens, n’étant qu’une voix actionnée par une langue délirante qui, effectivement, fonctionne comme une machine à faire gober des slogans et des formules qu’elle assène en tant que vérités révélées, destinée à laver le cerveau. Dans le texte de Freud, dès les débuts de son œuvre, en allemand, les concepts de réel, symbolique, imaginaire, de défauts d’“usufruits”, qui sont à distinguer de “La jouissance”, appliqués à la psychanalyse, avec tout ce qu’ils peuvent entraîner d’accidents psychiques, n’ont pas été inventés par Lacan, mais appartiennent à la pensée de Freud, ils y figurent pour désigner des éléments fondamentaux, constitutifs, de l’inconscient. C’est tout simple.
La langue française ne s’est intéressée à la psychanalyse que très tard, un quart de siècle environ après sa naissance. Tant qu’il eut les proches de Freud, représentés par “notre chère Princesse” Marie Bonaparte, non médecins, non psychiatres, non philosophes, et surtout pas médiatiques en tous genres, pour en garantir la traduction des concepts ou, au moins, ne pas en altérer le sens, la psychanalyse commença à exister en France et à faire du bon travail, à former de bons analystes. Mais très vite, dès après-guerre, quand les analystes juifs français, résistants ou pas, avaient dû prendre la route de l’exode ou avaient été déportés, les pouvoirs énormes de la psychiatrie et de la philosophie se mirent à laisser se traduire les concepts freudiens par le filtre de leur idéologie, et donc à en détourner le sens.
Quand, pour ne citer qu’un exemple, le philosophe Heidegger dit, et laisse un journal reproduire ses propos en 1976, que “quand un penseur français pense, il pense en allemand”, il s’exprime clairement en nazi, selon le principe totalitaire de la “Gleichshaltung”, en ce qu’il va pour lui de soi que la pensée française n’a de valeur que s’il elle se met au pas de sa pensée à lui, Heidegger. D’ailleurs, en 1929, Heidegger dans « Was ist das Metaphysik ? », n’écrivait-il pas :


S’il en était ainsi de l’Oubli de l’Être, ne serait-ce pas une raison suffisante pour qu’une Pensée qui pense l’Être soit prise d’Effroi, car rien d’autre ne lui est possible que soutenir dans l’Angoisse ce Destin de l’Être afin de porter d’abord la Pensée en présence de l’Oubli de l’être ? Mais une Pensée en serait-elle capable tant l’Angoisse ainsi destinée n’est pour elle qu’un État d’Âme pénible ? Qu’à donc à faire le Destin Ontologique de cette Angoisse avec la Psychologie et la Psychanalyse ?


Et dans la langue, à l’intention des germanistes, qui sauront y mettre le son de ces temps-là :


Wäre wenn es mit der Seinsvergessenheit so stünde, nicht Veranlassung genug, dass ein Denken, das an das Sein denkt, in den Schrecken gerät, demgemäss, es nichts anderes vermag, als dieses Geschick des Seins in der Angst aus zuhalten, um erst das Denken an die Seins vergessen heit zum Austrag zu bringen ? Ob jedoch ein Denken dies vermöchte, solange ihm die so zugeschickte Angst nur eine gedrückte Stimmung wäre ? Was hat das Seins geschick dieser Angst mit Psychologie und Psychoanalyse zu tun
?

Le style est à mourir de rire, l’idéologie qu’il transporte, pas.
Après-guerre, la philosophie française s’est empressée de faire plaisir et allégeance intellectuelles à Heidegger, le croyant sur parole, comme on croit le prophète et, s’inspirant de son discours, pour rendre la traduction de la langue de la psychanalyse la plus obscurantiste qu’il soit possible, pendant que la psychiatrie, de son côté, essayait de la récupérer en termes médicaux tout aussi obscurantistes, comme si ces nobles disciplines en voulaient à Freud d’avoir ouvert l’accès à une langue qui donne à l’humain l’outil essentiel pour qu’il trouve le courage de faire face, afin de les neutraliser, aux démons les plus vils qu’il porte en soi, qui lui minent la vie, et qui témoignent de la saloperie humaine.
Freud, dans sa langue, à partir du vocabulaire déjà existant de l’époque, a commencé par trouver les mots qu’ils pensait justes pour désigner les effets des pulsions humaines, que dévoile le langage de l’inconscient et de ses formations, constitutives et témoignant de la structure de la névrose. Les pulsions humaines ont ceci de différent des animales, qu’elles peuvent, du fait langage, laisser se manifester toute la bassesse humaine qui n’existe pas chez l’animal. Les pulsions n’évoluent pas.
Si une langue traduit, individuellement et collectivement, la pensée, le caractère, d’un auteur, d’un groupe humain, les pulsions, elles, qui organisent notamment la structure œdipienne en la détraquant souvent, sont les mêmes pour tout le monde, où qu’il soit. C’est ce que nous apprend la langue de l’inconscient, à laquelle qui le demande, homme, femme, collectivité, doit pouvoir avoir accès, quels que soient les âges, les conditions, les provenances, quelle que soit la langue source. Avec les enfants, déjà tout petits, cela ne pose aucun problème, ils s’expriment et comprennent sans détours, pourvu qu’ils aient confiance et soient assurés qu’on ne leur ment pas, qu’on leur parle vrai.
Ni la langue de l’inconscient, ni sa traduction, ni aucune langue, ne peuvent donc rester figées, totalitaires, elles s’enrichissent sans cesse, s’animent, au cours de l’évolution psychique de l’esprit humain. La langue de l’inconscient est de même structure pour chaque être humain, parlant ou/et silencieux, elle traduit les symptômes de la névrose, qui accumule les empêchements pour le désir de l’humain, à partir des données et des ratées de son histoire, à laisser se manifester une liberté possible de penser et dire ce qu’il pense.
C’est ce que le postulant à une analyse devrait savoir avant de s’y engager. Mais pour cela, il serait fondamental qu’il sache au préalable bien clairement ce que signifie le nom de Psychanalyse et la démarche, libre de tout autre discipline que la sienne propre, que ce nom implique. Or, depuis cinquante ans, on a oublié d’enseigner aux béotiens ce facteur primordial, si bien qu’il y viennent à l’aveuglette, “à la soupe”, comme me lançait il y a quelques années une collègue assez médiatique qui disait ne pas vouloir cracher dedans, ce à quoi je lui avais répondu qu’elle était vulgaire. D’ailleurs, avec les médias, la pub, le cinéma, la notion même du concept fondamental de symbolique en psychanalyse a disparu, tant on nous fout du réel constamment en pleine figure et dans le corps. Or, la notion de symbolique permet l’accès au concept de sublimation des pulsions. Cela a gagné jusqu’au théâtre, où des auteurs “branchés” grapillent, histoire de faire de l’argent,
pour monter leurs pièces sur une scène qui ressemble à une planche à ragots, une présupposée vie sexuelle et professionnelle de Freud, des siens et de ses proches, récoltée dans les magazines “peoples” et maintenant aussi, sur Internet, alors que l’essentiel des archives de l’histoire de la psychanalyse est à portée de lecture dans toutes les bibliothèques. À quand une comédie musicale où l’on prendrait comme actrice principale, la salacité en guise d’intrigue amoureuse ? Dans le fond, de quoi s’agit-il quand on évoque la vie amoureuse, si ce n’est le désir d’écouter et d’essayer d’entendre la langue de l’autre, et puis de faire avec et sans.
Ce que à quoi l’analysant, homme ou femme, n’est plus instruit, c’est qu’il approche l’analyse, non pour apprendre à “se-faire-aimer-parce-qu’il-n’a-pas-reçu-suffisamment-d’amour-quand-il-était-petit”, cela résonnerait vraiment comme des giries mélo et très gnangnan, tartes, il y a la psychologie codée, les idéologies, les médias, pour ça. Mais il s’adresse à la psychanalyse pour lui demander de l’aider à trouver le courage de regarder la vérité en face, dans le but de faire ce qu’il a à faire de sa vie, comment la mettre en œuvre puisque, biologiquement, il n’en a qu’une.Toute œuvre de vie est toujours inachevée pour son auteur, parfois beaucoup trop tôt quand le monde extérieur s’oppose répétitivement à ce qu’il la réalise en paix. L’auteur, en partant, laisse l’œuvre aux relais.
C’est seulement en sachant cela que le candidat analysant/e verra suffisamment clair et pourra dire s’il souhaite énoncer une demande réelle d’analyse en tant que telle, ou pas. Et si ne pas, il existe des tas d’autres postures, positions, moyens ou thérapeutiques, pour tenir à peu près debout jusqu’en fin de vie.
Je me demande donc pourquoi les responsables intellectuels transmettent aux générations suivantes le nom de Psychanalyse, sans savoir, ni même se préoccuper de savoir ce qu’il signifie, sinon pour les traîner, elle et son auteur, Freud, dans la boue. Se servir ainsi sans vergogne de ce à quoi l’on n’entend rien ou/et ne veut rien entendre, pourrait être une définition, grâce au pouvoir magique de l’ignorance, de la voie vers le concept de xénophobie, appliqué à la langue et au langage qui structurent la pensée de l’humain.

On comprend mieux aujourd’hui pourquoi, possiblement, il n’a pas été attribué de Prix Nobel à Freud. Il aurait fallu créer pour un Juif un Prix de l’Éthique !


M. W.

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