Psychanalyse et idéologie

Psi . le temps du non

Micheline Weinstein

De l’obscénité et de ses antidotes

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Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • « L’Innommable »

Cité en exergue au « Jargon de l’authenticité » par T. W. Adorno • 1964

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Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.
Bertha Pappenheim
point

 

© Micheline Weinstein / 20 février 2008

De l’obscénité et de ses antidotes...

Après Auschwitz • Mars 2000

Mensuel de l’Union des Amicales d’Auschwitz
 
 
Simone Veil - [...] Et d’autre part, je trouve que c’est de la démagogie [sic !], ces médailles distribuées en France pour des Justes si âgés, sans témoins, ou morts, que nous n’avons plus que des souvenirs de souvenirs [...] Je trouve qu’il n’y a pas d’intérêt à faire autre chose que ce que fait, très bien, Yad Vashem.
[...]
Quand on est mort, on n’a pas à peser. Mais les enfants n’ont pas à se substituer à nous, à porter notre message, ils ne sont pas comme nous. Et d’autre part ce n’est pas quand on y est allé 3 jours qu’on peut porter un message, avoir cette vocation particulière. Moi, je fais confiance aux professeurs d’Histoire. [...]
 
Ma réponse
 
Paris, le 12 avril 2000
Madame,
 
de quels enfants parlez-vous ?
Nous n’ignorions pas que certaines, parmi les anciennes déportées, avaient développé une forme de haine envers les enfants de déportés. Je connais notamment l’une de vos “camarades” qui ne supporte pas l’idée que, plus jeunes, nous lui survivrons... ce qui n’est pas toujours le cas. Cela l’a rendue méchante, moche, mesquine.
Loin de nous de prétendre et, d’abord, de désirer nous substituer à vous. Merci pour l’héritage ! Et nous avons déjà eu trop de mal à nous constituer, à tenir à peu près debout, sans, il faut bien le reconnaître, être beaucoup aidés - nous, la piétaille d’Europe de l’Est et d’Allemagne - pour nous identifier à votre état d’esprit complètement étranger à notre histoire. Encore merci.
Micheline Weinstein
 
N.B. Dans ma stupéfaction d’alors - je n’étais pas encore vraiment “revenue” de Birkenau arpentée, de la neige jusqu’aux genoux, le 25 janvier -, j’ai omis de préciser, je le fais toujours auprès des mères en souffrance, que la désignation “enfant” n’est pas ici un âge mais un signifiant. Du coup, pétrifiée par cette haine, c’est moi, plus qu’adulte, qui me suis identifiée aux enfants de toutes générations. D’autre part, je ne suis plus très sûre de la date exacte, entre le 23 et le 26 janvier. C’était en tous cas le jour où alentour les baraquements, j’ai croisé Max Gallo, qui marchait seul, lui aussi.
 
C’est en passant par la Halle aux Livres samedi 9 février 2008, que la lumière enfin se fit. Soixante ans venaient de s’écouler. Soixante ans à m’interroger, pendant lesquels je ne comprenais pas l’objet réel d’obstacles rencontrés, d’abord personnellement, puis sur lesquels, depuis vingt ans, les travaux de notre association ψ [Psi] • LE TEMPS DU NON butaient. Silence épais, non-existence, pour faire bref.
La lumière se fit. 4 exemplaires récents du Bottin Mondain et du Who’s Who étaient en vente à la Halle aux Livres. Nous, aucune personnalité de l’association ψ [Psi] • LE TEMPS DU NON , Psychanalyse et idéologie, cela ne va pas sans dire, ne figure dans le Bottin Mondain ou / et - ce sont les mêmes - dans le Who’s Who, Sésame des Lobbies.
Nous assistons aujourd’hui à un spectacle obscène et entendons, pétrifiés, des déclarations sauvages, en ces temps de campagne électorale qui, suite à un meeting mondain ont pour thème préférentiel, la “transmission” de la Shoah aux enfants.
Françoise Dolto, avec qui j’échangeais sur ce thème le 20 décembre 1987, me disait de deux psychanalystes : « Vouloir “transmettre la Shoah” [sic, pour l’expression directe] aux enfants, c’est transporter la mort. »
Et voici qu’éclate en pleine lumière, vingt ans plus tard, la guerre intestine féroce, qui sourdait jusqu’alors, que se livrent Simone Veil et Serge Klarsfeld depuis toujours, sur fond de nécropole des enfants, des bébés juifs, tués et gazés à Birkenau, sur leur dos, sur leurs cadavres.
Je peux assurer, documents à l’appui [cf ci-dessus], que les enfants, de quelque prétendue “appartenance” fussent-ils,  sont absents de, étrangers à, cette course acharnée, vomitoire, aux places politiques de premier plan.
Simone Veil, ne me connaît pas, m’a-t-elle écrit. Ce qui me serait plus qu’indifférent s’il s’agissait de “moi”. Je ne publierai pas ses quelques lignes de mépris absolu, ils m’ont fait honte, de la part d’une personnalité considérée unanimement comme une “autorité morale”. Je m’en suis expliquée dans un texte précédent : « Un palimpseste ».
Voici donc que Simone Veil et Serge Klarsfeld, sous nos yeux et dans nos oreilles consternés s’arrachent publiquement, sans réserve ni retenue, les lambeaux de la Shoah.
Pendant ce temps là et avec cela, l’antisémitisme flambe, le négationniste se repaît.
Une anecdote. J’avais besoin, sur une question administrative personnelle, de fournir à l’Allemagne un “Certificat de vie”, délivré par une institution juive de référence. J’ai donc envoyé l’imprimé - heureusement une photocopie -, accompagné d’une enveloppe timbrée à mon adresse, car je devais répondre par retour du courrier, à Serge Klarsfeld, insistant sur le caractère d’urgence de cette démarche. Je cotise, uniquement par solidarité, auprès de cette association, “Les Filles et Fils de Déportés de France”, à peu près depuis sa création.
Une petite incise à ce propos de l’intitulé de cette association, qui s’est approprié à leur insu la globalité des fils et filles de déportés de France. J’aurais souhaité, par respect pour ceux, dont je fais partie, qui ne se reconnaissent pas dans cette globalité, que cet intitulé soit plutôt “Des” fils et filles de... et non pas “Les”.
Je n’ai jamais reçu de réponse à mon courrier, pas plus qu’à mes appels téléphoniques, ni aux mails. De telle sorte qu’après une petite semaine, je suis allée me faire authentifier au Commissariat de Police de mon quartier, en dix minutes la chose était résolue.
Pour en revenir à l’enseignement de la Shoah aux enfants. Si quelqu’un, d’abord - bien avant les historiens, nés après la guerre, qui traitent avec une étrange insouciance les témoignages des vivants et ne sont dépositaires que d’histoires officielles, de comptabilités, de statistiques -, si quelqu’un doit porter le deuil des frères, sœurs, apparentés, camarades, qui auraient aujourd’hui nos âges, ce quelqu’un c’est nous, les héritiers directs de la Shoah.
Et nous le portons, ce deuil, depuis 70 ans, avec celui, le même, de leurs, de nos, parents, amis, camarades... nous les enfants d’alors - pour ma part, dans une traque incessante, j’étais bébé et fut sauvée par des Justes anonymes, des communistes et des religieuses, pendant 4 ans.
Nous le portons en toute connaissance de cause, si j’ose dire, puisque nous ne nous en remettrons jamais, nous qui avons assisté à la disparition de nos frères, sœurs, apparentés, camarades, parents, Juifs de tous horizons. C’est ce qui nous a permis, continue de nous permettre, de transmettre, coûte que coûte, sans répit, La Vie, dans le quotidien, dans la cité, dans nos métiers, avec son corollaire de transmission, le corps entier de l’Éducation Nationale en France. Lequel a d’ailleurs la décence de nous demander, à nous les contemporains des enfants morts, à nous les vivants, de témoigner, s’ils estiment que c’est un complément utile à leur enseignement. Nous le faisons alors, chacun/e en racontant oralement notre histoire, ou par des récits scéniques, des adaptations de livres, des traductions, des CD, des vidéos, des expositions, adaptés selon l’âge des enfants.
En quoi Madame Veil, qui a senti le vent tourner à la défaveur du Président de la République, ce qui l’a amenée à le désavouer publiquement, compte-tenu des propos représentatifs qu’elle émet et diffuse, est-elle habilitée à se substituer aux professeurs et à nous, témoins directs, vivants, dans la cité, de la disparition des Juifs, comme furent témoins de leur assassinat les déportés des camps de la mort ?
Ce ne sont pas tant les propos ni les projets d’un Président de la République “décomplexé" - qu’est-ce que cela signifie ? - qui furent indécents, ils ne furent que le révélateur de l’influence intellectuelle effective qu’exercent sur lui certains des politiques en vue, à des fins électorales. Alors... pour ne pas finir par être indexé de démagogie, le mieux est de ne pas vouloir faire plaisir à tout le monde...
Que les politiques s’écharpent, grand bien leur fasse, mais qu’ils se contentent de faire leur travail et, surtout, de toute urgence, de nous flanquer la paix et de nous laisser faire modestement le nôtre.
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Avec tout ça, une nouvelle fois, Freud a lui aussi disparu du “sol national”. La première fois, c’était pendant l’Occupation, après que Lacan dans son article pétainiste de l’Encyclopédie Française “La Famille”, publié en 1938, a écrit ses réflexions infâmes sur Freud [cf. « Commentaire » sur notre site] ; une autre fois, avec la mort de Marie Bonaparte, une autre encore avec la qualification par Lacan, d’Anna Freud comme étant une “chiure de mouche”, bref, ça n’arrête pas.
Comme si, davantage encore que le refus de la théorie de la sexualité, on, toutes “communautés” confondues, ne “pardonnait” pas à Freud, d’avoir sa vie durant, affirmé que selon lui, l’idéologie, risquant de se concrétiser sous forme de dictature, était incompatible avec la psychanalyse, que les rituels, les pratiques religieuses - et non pas la foi, que ce soit en l’homme, en Dieu, dans la psychanalyse... - témoignaient de la névrose obsessionnelle de l’humanité... [cf. Freud, Sur une Weltanschauung]
Si bien qu’aujourd’hui, on déclare que la laïcité est droite, honnête mais, par défaut de qualification,  ne connaîtrait pas la “transcendance”, autrement dit qu’elle n’est que matérialiste. La “transcendance” serait l’apanage, la chasse gardée, des religions. Ce sont les philosophes et non-philosophes athées, laïques, libres-penseurs, qui vont être contents ! La transcendance est à la philosophie ce qu’est, pour la psychanalyse, la sublimation, à laquelle est conférée cependant une dimension supplémentaire en ce que la sublimation implique la maîtrise des pulsions.
Pour conclure sur l’“opinion” que les médias transportent à l’égard de la personne de Freud, auteur de la construction d’une théorie scientifique nommée par lui Psychoanalyse, voici un exemple de vulgarité ambiante, pêchée dans le Nouvel Observateur du 7 février 2008,
 

Et ma réponse par mail à la rédaction de l’hebdomadaire,

Page 96 de l’Obs de cette semaine :

Monsieur François-Georges Maugarlone pense-t-il sérieusement que quelqu’un, analyste ou pas, répondra aux pauvres, incultes et vomitoires provocations d’un René Pommier, ait-il été lauréat du prix de la critique de l’académie française en 1979, ce qui, tout comme l’attribution de la légion d’honneur à n’importe qui, même à Papon, n’est vraiment pas un critère.

Bien cordialement, M. W.  

ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
© 1989 / 2013