Psychanalyse et idéologie

Psi . le temps du non

Micheline Weinstein

Du non-statut de la psychanalyse en France

Ø

Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • « L’Innommable »

Cité en exergue au « Jargon de l’authenticité » par T. W. Adorno • 1964

Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.
Bertha Pappenheim
Micheline Weinstein 18 octobre 2007

Du non-statut de la psychanalyse en France

Lettre à Madame Roselyne Bachelot, Ministre de la Santé
 
Chère Madame Roselyne Bachelot, Ministre de la Santé,
Paris, le 18 octobre 2007

j’ai d’abord été très déçue de votre non-prise en compte du projet / Dolto de notre association.
Comme vous l’avez peut-être noté, que ce soit dans mes propos aussi bien que dans mes écrits, ma seule règle déontologique de psychanalyste consiste à ne jamais faire état, sous aucune forme, de la vie privée, avec ses aléas, pas plus ni moins des analysant/e/s que de personnes proches ou lointaines, médiatiques ou non.
Quelles qu’aient été mes impressions personnelles, j’ai donc procédé “comme si de rien n’était” pour une bonne réalisation de ce projet et ai continué à m’adresser aux personnes que j’avais sollicitées voici un an à peu près.
Que, pour des raisons personnelles ou publiques, l’une ou l’autre de ces personnes se désiste, cela est simplement compréhensible, mais ne me semblait pas être une raison solide d’invalider le projet en le traitant par le mépris, après avoir accepté très volontiers de considérer, non seulement mon carnet d’adresses, de qualité, mais aussi certaines réflexions théoriques, durant la campagne présidentielle.
Je pense avoir été assez claire et insistante sur l’origine de ce projet et sur ma consternation à entendre n’importe qui, médiatique de préférence, s’intituler “psychanalyste”. C’est comme si des psychologues, des psychiatres, des éducateurs, des professeurs, des financiers, des journalistes, des auteurs dits “érotiques”... et bien d’autres, avaient honte de leur intitulé professionnel et s’arrogeaient un titre considéré comme plus “noble”, susceptible de leur apporter succès médiatique et revenus importants. Et ce, sans témoigner ni de leurs référents, ni de leur formation, ni de leurs résultats thérapeutiques, dans le domaine de la psychanalyse. Sans avoir lu une ligne de Freud, leur seule information sur le sujet étant puisée, au mieux dans les cours universitaires, mais surtout dans les magazines “people” et les ouvrages à ragots, lesquels alimentent plus qu’à profusion le fond de commerce de quelques trusts éditoriaux. En quoi, sur les plateaux de télévision, dans la presse, les discours, les mimiques, les gestiques, des “psychanalystes” invités à se prononcer, se distinguent-ils de ceux des journalistes ? Qu’ont-ils de remarquablement psychanalytiques, par rapport essentiellement aux principes fondamentaux de la psychanalyse, dont l’un consiste, pour des raisons qu’il n’est plus besoin de rappeler, à ne pas se montrer ni, soyons crue, s’exhiber en public ?
C’est à mes yeux (et oreilles) et selon ma conception d’une position éthique, un mépris autant pour le fondateur de la psychanalyse que pour la psychanalyse en soi, ainsi que pour ses authentiques représentants depuis plus d’un siècle.
Bref, après avoir reçu un courrier de l’Élysée, que je ne commenterai pas, j’ai donc été “punie”, je ne reçois plus les infos régulières par Internet de la Présidence.
Après quoi, j’ai entendu et lu dans la presse des déclarations selon lesquelles “on” était lassés des références à la culture Allemande. Pourtant, pour ne citer qu’un exemple, il est indéniable que Moses Mendelssohn (1729-1786) est reconnu pour avoir contribué de façon majeure à l’élaboration de la pensée des “Lumières”, laquelle a aujourd’hui encore bien du mal à pénétrer les esprits.
Par contre, j’ai lu et entendu, concernant la loi sur l’ADN, préconisée aux mères “étrangères sans papiers en vue d’un regroupement familial” que “l’Allemagne le fait aussi”. De ce côté-là des choses, et pour ne pas revenir sur un passé récent, il me semblait que c’était justement une raison suffisante pour ne pas l’imiter (cf. mon dernier petit texte, intitulé “Réponses au courrier précédent” sur notre site, où je me demande si la plupart des chefs d’état, une fois élus, n’oublient pas qu’ils sont mortels alors que les lois, elles, demeurent ancrées et que leurs applications risquent d’être durcies).
Comme nombre de citoyens de toutes conditions, ce qui m’a consternée c’est, de la part de responsables politiques, l’adoption du principe en lui-même, contraire absolu de ce qui a fait jusqu’à présent l’honneur de la France, son respect des Droits de l’H. d’où qu’il (elle) vienne. Les amendements, modifications diverses, destinés à rendre cette loi inapplicable, n’étant qu’habillages futiles de ce que l’on a coutume de désigner par “bonne conscience”. 
Si bien que la déception que j’évoquais en début de lettre en fût dissipée et qu’aujourd’hui, ainsi que je l’ai écrit, notre association se félicite de votre non prise en compte de notre projet.
Je ne verrai donc pas, sous ce gouvernement sinon de mon vivant, ce que Freud et nombre de psychanalystes éminents depuis un siècle, espéraient tant : la reconnaissance de la psychanalyse en tant que discipline absolument indépendante de tout autre, authentifiée par une Charte bien définie, qui assure les analysant/e/s potentiels - lesquels paient matériellement et psychiquement de leur personne pour que leur mal-être soit, sinon guéri (est-ce possible en ces temps ?), du moins neutralisé, pondéré afin que leur vie soit rendue vivable -, de la solidité de la formation et de l’honnêteté de la pratique de leurs analystes.
Recevez, Madame Roselyne Bachelot, Ministre de la Santé, l’assurance de toute ma considération.
M. W.
 

ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
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