© Micheline Weinstein / 15 Octobre 2008
Lettre ouverte à Madame Simone
Veil
Paris, le 15 octobre 2008
Chère Madame,
ne “surfant”
ni ne “blogant” sur Internet, c’est
par la presse que j’ai eu connaissance du Colloque
Françoise Dolto à l’Unesco en décembre
2008, jubilé pour le centenaire de sa naissance.
Vous avez bien
voulu vous associer à son programme au
titre de membre du Comité d’Honneur.
Nous, de nombreux
psychanalystes ayant connu d’assez près,
professionnellement ou / et personnellement Françoise
Dolto, ne figurons pas dans le programme des intervenants.
Dont des analystes de l’OSE, par exemple, ayant
été, pour les plus anciens encore
bien vivants, en contrôle avec F. D. tout
juste à la sortie de la guerre, dans les
années cinquante. Dont ceux également,
dispersés dans et hors institutions, de
ma génération ou de mon inter-génération,
nous étions alors enfants de la Shoah.
En 1979, j’avais
été peinée, après
vous avoir adressé, en tant que Ministre
de la Santé, « Histoire de Louise
» (Le Seuil), de votre refus de contribuer
à la promotion, tout particulièrement,
de la magnifique préface de F. D. à
ce livre - audible sur notre site, cf. à
“Audio
/ Vidéo”
-, au prétexte “diplomatique”
que vous étiez “sortante” du
gouvernement d’alors.
Cette même
année, Françoise Dolto, après
bien des difficultés administratives et
peu d’aides institutionnelles, sinon aucune, avait
tout de même réussi à ouvrir
« La Maison Verte » dans l’espace
limité d’une boutique de la rue St Charles.
En 1979 également,
je travaillais - depuis environ sept ans - avec
Françoise Dolto auprès d’enfants
diagnostiqués “autistes, “schizophrènes,
“mutiques”... et c’est lors de la
signature d’« Histoire
de Louise » que j’ai rencontré
Mira Rothenberg, dont «
Children with Emerald Eyes » venait
d’être traduit pour Le Seuil.
« Enfants aux yeux d’émeraude »
est ce que l’on désigne par “Un grand
livre”, unique. Il retrace le travail clinique
- ainsi que la création de son école
« Blueberry » - de Mira Rothenberg
auprès d’enfants et d’adolescents “autistes”,
“schizophrènes”, enfants orphelins rescapés
des camps de la mort et “déplacés”
aux U.S.A, enfants aussi dont les parents, pendant
la Shoah, avaient réussi à
émigrer.
Ce livre fut pour
la jeune psychanalyste que j’étais alors,
issue également de la Shoah,
la pièce déterminante, que j’ignorais
manquante, d’un puzzle de transmission, un contrepoint
à l’enseignement de F. D. Et l’est resté
dans ma pratique, auprès des enfants, des
adultes, des anciens, de toutes conditions, étiquetés
“schizophrènes” ou pas.
Mais cet aspect
des choses fait l’objet d’un travail, que j’ai
entrepris voici 5 ans et qui commence à
prendre forme. Ce pourquoi je reviens des USA,
où j’ai passé un grand moment, dans
les plus beaux sens du terme “grand”,
avec Mira Rothenberg, nommée en 2004 «
Personnalité de l’année »
par le Maire de New-York.
Pour rester dans
l’histoire de la transmission, j’ai lu récemment
dans la presse que Jacques-Alain Miller s’élevait
contre le projet Accoyer sur le statut des psychothérapeutes,
lequel signe, à son entendement, la mort
de la psychanalyse en France. Son propos indigné
est accompagné par une publication dans
« Le Nouvel Âne » d’une lettre
ouverte à Madame la Ministre actuelle de
la Santé et... pour illustrer cette mort,
d’une... bande dessinée sur Freud ! Personnellement,
côté “niveau”, j’aurais
préféré y trouver des extraits
écrits, puisés directement dans
l’œuvre de Freud, étonnamment actuelle.
Jacques-Alain Miller
a raison, à ceci près, me semble-t-il,
mais cela n’engage que le mien, d’entendement,
que cette mort de la psychanalyse en France a
commencé bien plus tôt, en 1938 par
exemple. Cf. « Commentaire » de «
La Famille » selon Lacan,
http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/archives/commentaire.html
Cette mort annoncée
fut entérinée en 1964, lors de la
parution du 1er Annuaire de la toute
nouvelle École Freudienne de Paris, fondée
par Lacan, où, pour s’exonérer de
toute responsabilité ultérieure
il déclarait et faisait consigner par écrit
que “Le psychanalyste ne s’autorise que
de lui-même... et de quelques autres”.
Quelques autres, mais qui ? Formés par
qui ? Selon quels critères ? Cf. Bernfeld
sur la formation des analystes in,
Micheline Weinstein
« Les traductions de ψ [Psi]
• Le
temps du non »
Une incroyable rêverie • Freud et Jung à Clark
1909, de W. A. Koelsch
-La libido chez Freud et l’Éros chez Platon, de M. Nachmansohn
- De la formation analytique, de S. Bernfeld
- À la bonne adresse, de Bert Kok
Collection Études Psychanalytiques, dirigée
par Joël Bernat, L’Harmattan, Paris,
mars 2003 • ISBN 2-7475-3933-4
Contre
quoi, depuis, n’importe qui peut s’auto-intituler
psychanalyste, il n’y a plus aucun statut spécifique
de la psychanalyse qui est devenue, cette fois
pleinement, ce que Freud redoutait par dessus
tout, la “domestique de la psychiatrie”
et de l’Université, la “danseuse”
des médias et des lavages de cerveaux fragiles.
Chacun/e peut dès lors et ne s’en prive
pas, ajouter à ses attributions un “et psychanalyste”, qui suggère que
l’on travaille “au noir” en cabinet
privé - quel vocable colonial encore vivace,
encore tenace ! - lequel fonctionne comme un appel
publicitaire pour attirer le client.
Pour
en conclure sur le centenaire de la naissance
de Françoise Dolto, dont la lettre/texte
sur le miroir écrite à ma demande,
où elle rappelle précisément
son désaccord avec Lacan sur l’“assomption
jubilatoire de l’enfant”, est consciencieusement
“zappée”, ignorée, par
le “milieu” depuis 1983, cf.
http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/livres/dolto.html
et de l’histoire de la psychanalyse
liée à l’histoire de la Shoah, j’avais publié un entretien sur le film
de Claude Lanzmann, entre Jean-Jacques Moscovitz
et Françoise Dolto en 1987, entretien que
j’avais passé des jours et des heures à
décrypter, à mettre en forme et
que j’ai préfacé,
La psychanalyse nous enseigne qu’il n’y
a
ni
bien ni mal pour l’inconscient
- 30 décembre 1987
et que l’on trouve sur notre site à,
http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/jjmdolto.html
Lors
de cet entretien, à la question de Moscovitz
sur le cri “Plus jamais ça”,
Françoise Dolto répondait, je cite
de mémoire, “Je pensais que l’expression
avait surgi après la guerre de 14”.
Oui, c’était après
14-18, ensuite après 39-45, enfin tout
le temps depuis.
Au
sujet donc de la psychanalyse en relation avec
la Shoah, de leur histoire, des guerres internes fratricides
récurrentes depuis l’aube des temps, de
ce que j’en pense et qui n’engage que mon point
de vue, vous trouverez ci-dessous, chère
Madame, le courrier que je viens d’adresser par
e-mail à Jean-Jacques Moscovitz, à
la suite d’un échange téléphonique
assez vif.
Avec
mes vœux de réel succès pour
le Colloque Françoise Dolto à l’Unesco,
recevez, Madame Veil, l’assurance de toute ma
considération,
Paris, le 15 octobre 2008
Cher
Jean-Jacques,
du
coup (littéralement), ou plutôt de
l’après-coup de la violence de tes propos,
j’en ai très mal dormi.
Mais
au moins cela m’a appris d’où, comment,
étaient fabriquées les choses, comment
elles circulaient, parfois à la limite
de la diffamation.
Me
venger ? De qui, de quoi, sans aucun pouvoir,
sans aucun moyen, isolée que je suis, consciencieusement,
par l’extérieur, plus précisément
depuis la mort de Françoise Dolto, dont
je garde finalement les assez nombreuses archives
personnelles (Catherine n’a pas même dit
merci quand je lui ai fourni quelques documents,
dont copie sonore de la préface à
« Histoire de Louise »).
Me
venger ? Quel verbe étrange dans la bouche
d’un analyste et... enfantin, mais dont l’intention,
comme chez les enfants, est relativement tueuse.
Ce
que je dis, écris, je le dis et l’écris
depuis plus de quarante ans, étayés
de documents solides : on peut vérifier.
Me
venger ? De ce que vous vous êtes abondamment
servis, sans aucune vergogne, de ce que je mettais
imbécilement à votre disposition,
y compris des heures et des jours de travail,
y compris mon carnet d’adresses (je t’ai dit,
à toi et à d’autres, que l’association,
le site m’avaient coûté un petit
studio à Paris qui aurait garanti mes arrières,
que j’avais, pour qu’ils continuent d’exister,
partagé mon appartement pendant 20 ans
afin de réduire les frais domestiques etc.)
? Pas l’un/e d’entre vous n’a jamais“renvoyé
l’ascenseur” comme on dit familièrement.
Au contraire, quand j’ai été virée
du XIVe, grâce à qui vous
savez, pas un/e seul/e d’entre vous ne m’a tendu
la main. Anne-Lise Stern est allée même
jusqu’à s’en réjouir par ces mots
: “Ah, ah ! tu vas être SDF !”.
Je
ne reviendrai pas sur les nombreuses personnes
que j’ai aidées concrètement (Maria
Landau peut en témoigner si elle a bonne
mémoire et pour ne prendre qu’un seul exemple).
Si
nous ne nous étions pas parlé, toi
et moi hier, je n’aurais rien su, comme d’habitude
depuis 20 ans, du lien entre ton site et celui
d’ARTE (mais pas avec le nôtre), où
tu dis mentionner mon nom et celui de l’association,
en oubliant, comme tous tes collègues,
le
ψ “Psi”
grec [Ps ychanalyse et i déologie], essentiel, de leur intitulé, déclaré
dans les statuts depuis 20 ans, où tu dis
te référer au livret que j’ai publié,
en 1995 (ISSN... ), puis en 1999 (ISBN... )rendant
compte de ton échange avec Françoise
Dolto en 1987, après avoir passé
des heures et des jours à le décrypter
et le rendre lisible... sans même un merci
de ta part.
J’ai
déjeuné lundi avec, notamment, Jacqueline,
en contrôle, toute jeune alors, chez Françoise
Dolto, à la sortie de la guerre, après
avoir été internée dans un
camp du Sud de la France, et qui m’avait adressée
à Dolto quand j’étais gamine, via
l’OSE, où l’on ne savait que faire de mon
faramineux Q. I. (!) Et aussi en compagnie de
quelques analystes, plutôt de ma génération,
de l’Institut et de pas l’Institut, avec lesquels
nous sommes restés amis. Autrement dit
mes témoins, dont la doyenne (Jacqueline)
depuis 60 ans, ceci pour ce qui porte sur le domaine
de la psychanalyse. On peut aussi croiser d’autres
témoins, beaucoup plus jeunes, parmi mes
analysants (dont une quarantaine d’enfants devenus
adultes), et quelques amis fidèles (pas
beaucoup) de longue date.
Je
vais te dire une chose Jean-Jacques, qui n’engage
que ma parole, que moi et personne d’autre : pour
mon propre compte, je sais assez bien ce qui s’est
passé entre les Juifs eux-mêmes pendant
la Shoah. Ce sont des êtres humains “commetoutlemonde”,
ni plus ni moins, ainsi que le déplorait
Freud, dont les comportements, les agissements,
sont restés identiques, sempiternels, avant,
pendant, après. À ceci près,
spécificité monstrueuse, qu’ils
sont marginalisés, désignés,
un par un, objets d’un antisémitisme
récurrent, sempiternel, aussi virulent
aujourd’hui que toujours, qui ne leur laisse régulièrement
que, seule, leur psyché, pour exister et
transmettre la vie - d’où, probablement,
un surcroît de haine jalouse, indéracinable,
à leur égard et... pour eux, l’espoir
comme perspective d’avenir... Il y eut, pendant
la Shoah, des êtres d’exception, nombreux,
je cite les noms de ceux que j’ai connus, rencontrés,
Juifs et non-Juifs, des Justes, de ceux qui m’ont
sauvé la vie, dans pratiquement chacun
de mes textes.
Alors
toutes ces péroraisons sur la solidarité
pendant la Shoah, les appropriations publicitaires
individuelles, à coups d’argent et de compromissions,
pour l’extension majuscule de, chacun/e, son “Moi”
personnel, m’auraient été indifférentes
si, en tant que fille d’assassinés sur
4 générations, psychanalyste, femme,
non-affiliée à un “Lobby”,
à une secte, à une sous-secte ou
assimilés, sans aucun patrimoine que ma
tête pensante, tout ce qu’on voudra, elles
ne m’avaient flanqué, ces péroraisons,
une nausée dont je ne parviens pas à
me défaire.
“Vale”,
Micheline Weinstein
(du
nom de mon grand-père Moïse, Président
du « Joint » à Ialta et à
Istanbul avant la Shoah, dont j’ai recueilli la
photo à Yad Vashem, suprêmement noble
avec sa magnifique moustache à la turque
ou à la russe, comme l'on préfère
!)
P.S. Ton mail perso a-t-il
changé où tu m’as rangée
dans les “Indésirables” pour
continuer de ne rien entendre ? Quelle qu’en soit
la raison, inintéressante, voici donc ce
courrier sur l’adresse de ton association.