Psychanalyse et idéologie

Psi . le temps du non

Micheline Weinstein • Lettre à Flo

Des commémorations et du mot “détail”...

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Il est plus facile d'élever un temple que d'y faire descendre l'objet du culte

Samuel Beckett • « L'Innommable »

Cité en exergue au « Jargon de l'authenticité » par T. W. Adorno • 1964

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Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.

Bertha Pappenheim

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© Micheline Weinstein / 1er mai 2008

Lettre à Flo


Des commémorations et du mot “détail”...

Paris, le 1er mai 2008

Chère Flo,

en ce jour de commémorations, je te souhaite un ciel bleu au dessus des cimes de tes vacances. Et pour ton retour, voici, non pas un brin de muguet, mais juste quelques petites réflexions du matin.
J'ai été de nouveau assez surprise de trouver dans plusieurs annonces officielles pour les commémorations du Jour de la Shoah, avec lecture des Noms des déportés vers Birkenau dans les convois successifs, que l'on attribuait à Madame Veil cette formule pour qualifier les disparus : “ceux dont il ne reste que les Noms”.
Il me semblait que cette douloureuse épitaphe revenait, du moins à ma connaissance, à Vladimir Jankelevitch. C'est pourquoi je l'avais mise, il y a bien longtemps, en exergue d'un texte :

Nous avions beau savoir...

Vidal-Séphira a écrit des pages bouleversantes sur ce “Nacht und Nebel” (Nuit et brouillard) bien nazi où la métaphysique du calembour et son éminent représentant Heidegger pouvaient retrouver les initiales du “Nomen nescio” (Je ne sais pas le nom) et en fin de compte l'initiale du Néant lui-même. La férocité exterminatrice ne perd jamais contact avec le pédantisme ! (...) Le Mémorial de Serge Klarsfeld fait sortir de la nuit et de la nuée, en les appelant par leur nom, les innombrables fantômes anonymes annihilés par leurs bourreaux. Nommer ces ombres pâles, c'est déjà les convoquer à la lumière du jour
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Vladimir Jankélévitch
Le Nouvel Observateur • Mai 1978
In M. Weinstein, « Travaux 1967 / 1997 » ISBN 2-9512542-3-7

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Maintenant, pour ce qui est des levées de boucliers qui ont tout récemment agité les intelligentsias et les médias - cela se produit de manière récurrente -, à propos du mot “détail”, ressorti par Le Pen, qui qualifie ainsi ce qui serait selon lui un avatar de l'Histoire de la Seconde Guerre Mondiale, précisément les chambres à gaz, j'ai failli intituler ma lettre « Pour en finir avec le mot “détail” ».
Car Le Pen réussit son coup à chaque fois. Et à l'inverse de ce que j'entends, si sa personne a été affaiblie, je ne pense pas qu'il en soit de même pour l'idéologie qu'il a durablement véhiculée.
Les institutions, les personnalités se sentant concernées, les médias, en s'élevant horrifiquement contre les provocations conscientes, réitérées de Le Pen, continuent depuis un bon quart de siècle de dérouler encore plus avant un tapis rouge au négationnisme, en lui faisant une “pub” d'enfer. De nombreux psychanalystes emboîtent le pas... Cela a pour effet d'attiser l'antisémitisme ainsi que les revendications concurrentielles entre ce que l'on appelle généralement les “minorités”.
Car ce qui est dangereux, ce n'est pas la liberté de Le Pen de dire ce qu'il pense, ce n'est pas, me semble-t-il, qui est accroché par ce mot/slogan répétitif, c'est ce à quoi il s'adresse. Ce que vise Le Pen, ce sont les plus basses pulsions humaines, brutales, sauvagement primitives. Et ça fait mouche.
Si nous prenons comme exemple le “détail” en psychanalyse, particulièrement dans « L'Analyse du rêve », nous nous apercevons que l'analysant/e, pour peu qu'il soit encore béotien, c'est-à-dire pas encore attentif à l'existence de l'inconscient et à sa prise en compte, espère, par ses rêves, trouver une clef globale des songes, autrement dit une interprétation toute faite, prête à servir et ainsi à dénouer son angoisse. Il ne pense donc pas à s'attarder, dans le récit de son rêve, sur un “détail”, qui apparaîtrait comme futile, négligeable. Or l'analyste - souvent à la grande contrariété de l'analysant/e, qui ressent alors son récit bien vêtu, bien tourné, comme étant d'un coup désossé -, prend soin, lui, de relever chaque infime “détail” du rêve, car un “détail” dans un rêve en est le plus important facteur de métaphore - cf. exemples in Freud • « Die Traumdeutung ».
Si bien que sur ce modèle, dans l'entité 2e Guerre Mondiale, ce que l'on pourrait en retenir de plus important serait l'existence des chambres à gaz, le “détail de l'Histoire”.
Bonne rentrée sur Paris ! W.

 

ψ [Psi]LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire

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