Psychanalyse et idéologie

Psi . le temps du non

Micheline Weinstein • Le « Continent noir », le Monstre, le Nom

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Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • « L’Innommable »

Cité en exergue au « Jargon de l’authenticité » par T. W. Adorno • 1964

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Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.

Bertha Pappenheim

© Micheline Weinstein / Février 2007

Le « Continent Noir », le Monstre, le Nom

 

Ce petit récit, au rythme du temps, en forme de mini-Journal de bord.
Autrefois, après avoir présenté la mise en place de notre association comme mon souhait qu’elle devienne une petite république, une collègue, en clôture de réunion, a lancé cette boutade : te voilà président de la république ! Du coup, nous avons inscrit en toutes lettres dans l’un des statuts de l’association, que la fonction de président consistait à présider. Et aussi, c’est obligatoire, qu’en cas urgent vraiment très grave, alors sa voix serait prépondérante devant la décision à prendre pour y faire face.
Aujourd’hui, à l’approche de l’élection présidentielle effective, notre association a vu partir des amis ou/et connaissances de longue date, lesquels se sont peut-être, mais ça peut être aussi autre chose, sentis obligés de devoir “en démissionner”, principalement pour motif d’antagonisme “idéologique”. S’il y a antagonisme, il n’est pas nouveau, la première rupture est ancienne, presque d’origine, elle concerne ma position à l’égard de Lacan. Elle porte notamment sur mon désaccord devant l’accent qu’il a essayé à toute force d’imprimer à la psychanalyse sur un sujet qui ne la concerne pas : la psychose. Freud, qui est l’inventeur de la psychanalyse, on peut quand même lui concéder de savoir ce qu’il dit, affirme que la psychose ne ressortit pas à l’analyse, autrement que comme un éventuel relais thérapeutique aléatoire, ne serait-ce qu’en ce qu’il reconnaît l’intelligence de celui ou de celle qui souffre, quelle que soit la nature de ses douleurs et tortures psychiques, et qu’il essaie de l’aider, à tout âge, à se supporter.
Pour en revenir à l’association, j’ai toujours été étonnée que son intitulé complet, en trois phrases, avec leur signification dans la déclaration des statuts il y a 20 ans, auxquels chacun/e peut accéder, n’ait pas été reçu comme j’aurais souhaité qu’il soit lu.
Ce texte de présentation figure sur la page d’accueil du site de l’association ; d’autre part, à la rubrique « Courrier », le lecteur intéressé peut trouver l’essentiel du sommaire. C’est pourquoi, je ne reproduirai pas aujourd’hui quelques “petits billets”, où je propose une définition, aidée par le Grand Usuel Larousse Universel, de vocables tels que, ostracisme, démagogie, racisme, idéologie, injure, « Les gens »... au fur à mesure que ça me passe par l’esprit, de façon à essayer de rendre clairs ce que signifient les mots, avec leur nécessaire organisation grammaticale, lesquels forment la chaîne du langage de l’inconscient et de ses effets sur le conscient. De les rendre clairs, selon le souhait de Freud, pour toutlemonde. L’approche de concepts tels que l’humour, le Moi, le miroir narcissique... je les ai extraites de l’œuvre de Freud, celle de Françoise Dolto, celle de François Perrier, principalement, mais pas seulement.
Sur le site, on rencontre, à part égale, des auteurs, dont un enfant/poète de Theresienstadt, un film en anglais et en français, les extraits “audio” d’un livre, les archives, parfois une nouvelle culturelle, des reproductions d’œuvres d’art et... celle d’un petit billet de Freud manuscrit inédit, dont personne n’est encore parvenu à traduire sa belle écriture gothique... Il faudra que je m’y mette un jour, avec l’aide de ma précieuse lampe-loupe de photographe.
Je m’aperçois que j’aurais dû commencer ce mini-journal par dire que ce que j’écris ne concerne que ce qui, en croisant ma route d’analyste, m’intéresse. Je suis incompétente dans beaucoup de domaines, même dans ceux auxquels j’essaie de devenir simple “amateur éclairé”. Et si j’écris, c’est seulement pour témoigner du travail d’une psychanalyse, dans le temps de vie qui lui est humainement imparti.
Je, notre association, n’attendent de personne que l’on “aime” ou pas. Aujourd’hui, peu à peu, cette association se reconstruit, d’anciens amis sont toujours là, de nouveaux liens se nouent, qui s’établissent à partir de la lecture de son intitulé complet.
Je ne reproduirai donc pas ici les “petits billets”, accessibles sur le site, par contre j’en introduirai un autour du mot Manichéisme, dont le sens le plus courant est,


Manichéisme • Conception qui divise toute chose en deux parties, dont l’une est considérée tout entière avec faveur et l’autre rejetée sans nuance.


C’est un système de pensée binaire ou bipolaire si l’on préfère. Le Bien, le Mal, la gauche, la droite, même quand on essaie de s’en défaire en y ajoutant des extrêmes. Platon, Rabelais, avec son Abbaye de Thélème, mixte, qui n’aurait été ouverte qu’aux “gens de bien”, autrement dit aux personnes un peu intéressées par le goût de la civilisation. Voltaire, Chateaubriand, Victor Hugo, Marguerite Yourcenar, dont le lecteur ne peut méconnaître son amour de la langue, Baudelaire, Proust... , ne se stigmatisent pas de gauche, de droite... les artistes, les poètes ne sont guère latéralisés comme toutlemonde...
Ces temps-ci d’élections présidentielles puis législatives, nous assistons à des distributions publiques bruyantes d’oukases à la Staline, sur la propriété de la pensée autant que sur celle des inclinations intellectuelles, artistiques, scientifiques, de chacun/e.
La vérité ne réside pas dans le mi-dire comme essayait malhonnêtement de l’inculquer Lacan qui, dans son travail d’analyste et d’enseignant était à ce propos mutique et qui, sur sa position éthique, se gardait bien de tenir la parole de ses discours. La vérité consiste à pour chacun/e apprendre à savoir faire avec sa propre multiplicité tout simplement humaine, à la synthétiser, à la gérer de sorte, pour donner un sens à sa vie, de connaître son désir, d’en placer la parole et la tenir.
Ainsi, à l’étape de la découverte de la multiplicité, j’ai croisé un trait que nous avons en commun avec La Dame, au joli prénom aquatique, du Front : l’absence intégrale d’hypocrisie. C’est probablement le seul, mais je ne peux pas l’ignorer. D’autant que j’en ai un autre avec son père, Le Chef : nous sommes tous deux pupilles de la nation, mais pas pour les mêmes raisons : mon père était dans la résistance armée communiste, mais c’est comme Juif qu’il fut déporté. Il sifflait le quintette de Schubert et avait une haute idée de la France : “Heureux comme Dieu en France” était l’adage ydish, qui datait probablement de 1790, de tous les Juifs du monde en ce temps-là, grâce à l’Abbé Grégoire.
La réputation, instrumentée par les médias et la presse, diffusée largement, comme une traîné de ragots, de Nicolas Sarkozy, est qu’il “fait peur”. Peur de QUOI ? On n’a jamais vu, jamais entendu parler, pour le peu que m’ait appris la psychanalyse, d’un enfant dit, ou méconnu, “surdoué”, qu’il ne soit pas honnête et qu’il devienne un dictateur. On sait par contre parfaitement, qu’à l’enfant dit “surdoué”, la vie ne sera pas jonchée de fleurs, le monde extérieur essaiera de lui “faire payer” son appétit de savoir, son talent, son seul capital, tout au long de sa vie. Alors, cette “réputation”, est-ce parce qu’un homme politique honnête a accepté de faire face à un terme, un seul, celui de l’Immigration ?
Au signet du mot “immigration” : le détournement et l’amalgame de son sens, avec toutes les conséquences qu’ils entraînent, semblent sciemment instillés par des responsables intellectuels considérés comme de haut niveau. Est-ce la fonction de transmission des politiques de tous pays et de toutes les époques, sans faire “(basse) œuvre” de “négationnisme”, d’apparenter ce mot à celui de l’exil forcé de populations menacées d’extermination physique, systématique, prises sauvagement en chasse, massacrées individu par individu, là où elles se trouvent, en faisant appel à l’eugénisme dans le domaine des sciences humaines, aux perfections techniques dans celui des sciences dites exactes ?
Il semblerait que le monde extérieur, pour “faire tomber” un homme politique, au mépris de toute lecture du canevas de son programme, par dénégation de l’écoute de l’autre qui n’est pas soi, le lui “fait payer” en assenant à son sujet, avec une tranquille malhonnêteté intellectuelle, des slogans, des bouts de vocables tous faits, des injures directes à la personne, que l’on n’oserait pas même attribuer au Chef du Front, dont les directives et les actes sont chaque jour davantage banalisés. Insidieusement distillés, ils sont assimilés par le “peuple” sans qu’il le perçoive, lequel peu à peu les faits siens, et à ce point-là des choses, il n’y a plus de droite, de gauche, de centre, c’est tout simplement la xénophobie qui l’emporte.
Qu’une certaine presse “s’en prenne” avec acharnement à un candidat, au masculin, pour “le faire tomber” comme on dit chez les gangsters, cela donne quelque chose comme l’exploit satirique ignoble du « Canard Enchaîné », responsable de la mort de Pierre Beregovoy.
Le Monstre, que l’on rencontre sous tous les régimes de dictatures et/ou de chaos, rôde déjà, sous la forme d’une haine infantile envieuse ordinaire à l’adresse de l’intelligence, de l’entendement, des “Lumières”, de l’honnêteté intellectuelle.
Cela n’empêche que, de mon côté, je n’aurais pas choisi des concepts tels que “discrimination positive”, ou “récompense” du travail fourni. Le terme “discriminant” appartient, entre autres, au noble vocabulaire des mathématiques, mais la “discrimination” ayant évolué, définitivement semblerait-il, vers une connotation négative dans le langage courant, la qualité de “positive” paraît aujourd’hui impossible à percevoir et à se représenter. J’aurais préféré “discernement” mais c’est un terme trop littéraire, alors laissons cette question aux spécialistes politiques. Quant au terme de “récompense”, je le trouve un peu trop paternaliste, un peu trop “affectif”. Mais ces nuances linguistiques ne représentent pas un obstacle insurmontable à la lecture d’un programme ni aux intentions de son auteur.
Les slogans sont parvenus à laver à un tel point le cerveau que les femmes, sans doute tout à fait innocemment, les ont avalés et assimilés comme si elles étaient des hommes. Cependant, il peut se trouver qu’une femme, compagne de vie d’un homme, qui en a le désir, les moyens matériels et humains, qui tient par-dessus toute chose à l’amour de cet homme, qui est mère, se reconnaisse en celle qui veille à garantir son équilibre. Cela n’entrave en rien son indépendance de pensée ni sa liberté de donner un sens à sa vie, pour peu qu’elle ne soit pas intéressée par le goût du pouvoir. En réponse, un amour où le projet de vie d’un homme est d’offrir ce qu’il y a de plus beau à une femme, ça ne se refuse pas.
Bismarck faisait la guerre, en même temps qu’il instaurait la sécurité sociale pour tous et écrivait quasi-quotidiennement une lettre d’amour à sa femme pendant plus de cinquante ans... !? Alors, à chaque électeur et électrice, au moment de glisser son bulletin de vote dans l’urne, d’avoir pesé préalablement le pour et le contre de son acte. Ce sera à l’épreuve seulement, si l’on estime s’être trompés ou avoir été trompés, que l’on s’occupera alors démocratiquement, républicainement, mais fermement, de changer de responsables politiques tout en dansant la Carmagnole, mais sans couper les têtes !
La femme, compagne de vie, contrairement à ce qu’enseignait Lacan, n’est pas un fantasme d’homme. C’était de la part de ce grand penseur une marque de mépris envers un autre homme, tous les hommes, que de considérer qu’ils ne sont capables de poser leur désir que sur la bipolarité sexuelle, virginité / prostitution. Il arrive en effet assez fréquemment qu’une femme se substitue à un fantasme d’homme limité, mais c’est par masochisme pathologique, c’est alors une autre histoire, une histoire de psychanalyse, qui ne participe ni de la scène, ni du domaine, publics.
Un petit point annexe pour ce qui est de la psychanalyse au plan public : si j’avais vingt ans de moins, j’inventerais une caisse de retraite convenable, professionnelle indépendante, pour les psychanalystes dont ce fut le seul métier pendant au moins cinquante ans - reconnu ou non d’utilité publique. Au début, ce fonds coûterait assez cher aux candidats / cotisants, qui, de fait, ne seraient pas très nombreux...
Par une autre entrée, nous arrive sous les yeux la couverture du « Figaro Magazine », qui nous donne à voir la photo d’une candidate, dont le rictus méprisant est aussi effrayant et “prometteur” que son regard toisant de haut, lesquels sont vraiment étrangers à ce que restituent les icônes de la Pinacothèque de Sienne, représentant la madone à l’enfant ou sans enfant. Le texte de l’article de ce journal illustre la photo sous forme d’extraits du récit de la douloureuse histoire, à paraître ces jours-ci en librairie, d’une confiance de femme trompée par une autre.
La femme était pour Freud Le Continent Noir, dont il constatait que, honnêtement, il n’y connaissait rien, à tel point qu’il laissait aux femmes, pas toutes analystes, le soin d’en dire quelque chose, quelles que soient leurs positions, pourvu qu’elles ne soient pas idéologiques : Mélanie Klein, Lou Andréas-Salomé, Anna Freud, Ruth Mack-Brunswick, Muriel Gardiner, Marie Bonaparte, Eva Goldman...
Que le P. S. règle sauvagement ses comptes entre autant de Moi des deux sexes qu’il y a de tendances, n’autorise pas son premier secrétaire à établir sa campagne sur des invectives contre la personne, basses, incultes, de pauvres jeux de mots infantiles de concurrent envieux, que les médias désignent comme étant... son “humour” ! C’est là encore une confusion, un aplatissement de sens, puisqu’il ne s’agit ici, dans les propos relevés, que de dérisoires puérilités inassouvies. C’est méconnaître sciemment, la signification véritable de l’humour - cf. sur le site, petit billet avec définition de l’humour par Freud et par Perrier, lequel place l’éthique de l’analyse et de l’analyste de ce côté-là.
C’est ici qu’apparaît en toute lumière le Monstre, qui n’est pas, tel qu’on le décrit dans les théories spécialisées, du côté de la “chose” maternelle, qui serait primitive et informe. Le Monstre, c’est la Jalousie infantile, rétive depuis le fin fond des temps à toute forme d’évolution de la civilisation. La Jalousie, domestique féroce et tenace, au service de toutes les formes de xénophobie. Le Monstre, c’est une instance, comme l’est par exemple le Surmoi, polysexuée, en tous cas sexuée, mais sans que l’on puisse s’y retrouver dans une différence des sexes, à l’opposé, comme tout ce qui est bipolaire sans nuance, de l’Ange dépourvu de sexe, donc de sexualité.
J’en terminerai par le Nom. L’autre jour, La Dame du Front précitée, incitait les noms étrangers, pour n’être pas stigmatisés et s’intégrer dans la “préférence nationale”, de se “franciser”, comme ce fut le cas après l’“Affaire Dreyfus” puis après la guerre 39/45.
De mon côté, l’histoire eut été autre, peut-être l’aurais-je fait, soit en adoptant celui du mari, soit par démarche administrative. Encore que, récemment, j’ai reçu par Internet, comme ça se faisait sous Pétain, une liste de personnalités juives, dont la plupart en exercice, ayant “francisé” leur patronyme pour “camoufler leur identité d’origine”.
L’histoire, personnelle et collective, dans laquelle je suis née en France, a fait que j’ai choisi de garder le nom de la lignée paternelle, il porte cette histoire. Le père de mon père, mon grand’père Moïse d’Odessa, président à Istanbul du Joint, seule institution d’entraide juive internationale laïque non communiste, et ma grand’mère Génia, avaient donné à leur fils le même prénom que celui de Freud : Schlomo. On n’échappe pas à ses signifiants.
Par goût j’aurais peut-être choisi le nom de la lignée maternelle, tout autant décimée que la paternelle, par les pogroms et puis la Shoah. Fuxman de Tiraspol. Avec un “x”, plutôt qu’un “chs” allemand, ce qui était déjà alors, au moins depuis le XIXe siècle, une “francisation” en Roumanie francophone et germanophone.
À chacun son histoire et ses signifiants particuliers. Seulement, ce qui rend les choses si difficiles, c’est d’avoir, tout au long de sa vie, à devoir sans cesse les justifier humainement et administrativement.
S’il y a, selon l’expression vraiment inadéquate de Primo Levi, un “devoir de mémoire” à assumer, c’est là que je le situe, mais seulement à titre individuel. Il participe de l’éducation reçue, de la culture, de la langue, ici françaises, lesquelles, seules, permettent à chacun/e d’entre nous de rassembler les éléments épars, parfois contradictoires, du psychisme, et de composer avec pour en reconnaître, non l’“identité”, mais l’intégrité.


M. W.
10 Février 2007

ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
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