Psychanalyse et idéologie

Micheline Weinstein • Réflexion autour de l’injure

ø

Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • L’innommable

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object

Samuel Beckett  « The Unspeakable one »

Underlined in « Jargon of the authenticity » by T. W. Adorno • 1964

ø

Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.

Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil is made somewhere. Neither the sex or the age, nor the religion or the political party can be an excuse.

Bertha Pappenheim

point

ψ  = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s’adresse à l’idéologie qui, quand elle prend sa source dans l’ignorance délibérée, est l’antonyme de la réflexion, de la raison, de l’intelligence.

ø

© Micheline Weinstein / 7 novembre 2003

Réflexion autour de l’injure

Le 29 mars 2003, je ne me souviens plus pourquoi, j’écrivais un court billet intitulé
" Qu’est-ce qu’un-e antisémite ? ", et que voici :

Qu’est qu’un/e antisémite ?
Tout le monde le sait. À commencer par les antisémites eux-mêmes.
C’est un-e inculte volontaire.
Par conséquent, tout le monde sait en quoi consiste la singularité du Juif, homme et femme,
et de là, la singularité du désir latent, par l’antisémite, de l’exterminer.
Cette singularité se manifeste ainsi, que le mot Juif, au masculin et au féminin, est la cible
du concentré de toutes, absolument toutes, les injures, d’ordinaire émises isolément contre chaque
personne ou groupe de personnes n’ayant pas le pouvoir ou/et les moyens de se défendre par la force,
sous n’importe quelle forme.
Répondre - avoir répondu - alors aux négationnistes, plus généralement à un-e antisémite, aux antisémites
groupés, s’insurger contre leurs thèses, c’est dérouler un tapis rouge sur lequel va évoluer, jusqu’à
l’éclatement espéré par eux, la bassesse humaine.
À ces gens-là, Juifs ou Pas-Juifs, ne parlons pas et ne voulons rien en entendre et encore moins comprendre,
c’est une affaire de Droit, pas de relations humaines.
N’existons pas pour eux.


ø

L’injure est parfaitement définie dans le Grand Usuel Larousse :

« Injure [du latin injuria, injustice]
- Parole qui blesse d’une manière grave et consciente.
- Expression outrageante qui ne renferme l’imputation d’aucun fait précis (l’injure publique est un délit). »

L’injure est assez parente de l’ironie (voir les très intéressantes définitions dans le Grand Usuel précité), qui, selon François Perrier, est toujours un jugement qui fait toujours une victime. L’ironie est une prise de pouvoir totalitaire sur autrui et tant pis si Socrate l’a pratiquée. Alors que, ajoute Perrier,

Rien de plus désintéressé que l’humour qui ne va pas sans une critique libre de soi-même. L’humour est aussi un dévoilement de l’objet sous un autre jour, mais dans une pudeur, une réserve, une contention qui n’est pas celle du comique avec ses effets de cirque, ses chutes répétées. L’éthique de l’analyse est de ce côté-là.

Perrier prend ici le relais de Freud pour qui,

L’humour a non seulement quelque chose de libérateur, proche en cela de l¹esprit et du comique, mais encore quelque chose de magnifique et d’émouvant, traits qui ne se retrouvent pas dans ces deux autres modes, issus de l¹activité intellectuelle, d’acquisition d¹un surcroît de plaisir. Le magnifique tient évidemment au triomphe du narcissisme, à l’immunité du Moi victorieusement affirmé. Le Moi se refuse à se laisser entamer par les contraintes de la réalité, à se laisser imposer la souffrance, il résiste fermement aux atteintes des traumas causés par le monde extérieur, dont il montre, bien plus, qu’ils peuvent devenir des agents d¹un surcroît de plaisir. Ce dernier trait est la qualité essentielle de l’humour. Der Witz...

La psychanalyse et d’abord Freud, qui l’a mise en œuvre, ont attiré particulièrement notre attention sur ceci que l’injure est toujours sexuelle ou mieux, à caractère sexuel. Pourquoi ? C’est tout simplement que, lorsqu’on - toutlemonde - injurie quelqu’un ou un groupe de personnes, étiquetés comme appartenant à des entités artificielles telles que “race”², voire “peuples”, en plus pédant “ethnies”, on vise la provenance supposée d’une femme en tant que mère, que fille, mère à son tour, ou encore la mère de la mère d’une mère haïssable qui, pour assurer la perpétuation de l’espèce, donc pour commettre l’acte sexuel, se serait mêlée à des gènes pas frais. Les gens du voyages, Tziganes et Juifs, dont on avait déclaré que “la vie était indigne d’être vécue”, les malades mentaux, ceux aussi que l’on appelait les “anormaux” physiques et psychiques, les vieux, les autres, sont tous, un par un, mis au monde par une mère que l’on suspecte, ou dont on suspecte la mère ou la mère de la mère, d’être mélangée à une “race”² que l’on décrète, pour des raisons absolument subjectives, “inférieure”, sans quoi elle n’aurait pas produit une ou des anomalies.
Il est une injure, appliquée aux Juifs en permanence depuis 60 ans, celle de “paranoïaques”. Dans Haaretz du 6 décembre 2002, le Pr. Gehad Mazarweh, natif de Taibe, Arabe/Israélien, spécialiste en Allemagne du traitement des victimes de tortures, n’échappe pas à l’usage de cette qualification. Pourtant, sa vie, son travail, ses amis, sa démarche témoignent que l’on ne peut le suspecter d’antisémitisme. Il écrit, relatant des propos antisémites entendus en Allemagne, après qu’il ait pris conscience d’un, je cite, “grand trauma Juif”, consécutif à la Seconde Guerre Mondiale, et qu’il eût visité Buchenwald,

J’en suis venu à considérer que les Juifs avaient raison de vivre dans la paranoïa. Nous, Arabes, devons reconnaître cela.”

! ?

Pensée bien étrange, de la part d’un spécialiste de la psyché.
Je ne vois pas, hier aussi bien qu’aujourd’hui, en quoi être réellement persécuté, Mazarweh le fut lui-même, appartiendrait à la nosographie de la paranoïa. Être terrorisé à vie par la marque de persécutions réelles antérieures ou actuelles n’a jamais été un symptôme nécessaire ni suffisant pour indiquer que les réellement persécutés sont des paranoïaques, ou qu’ils le deviendront. Phobiques, certainement, oui, pour se protéger des agressions. Ou alors guerriers, il n’y a pas tellement de choix possible. Rappelons que la persécution dont souffre le malade paranoïaque est imaginaire, c’est une production compliquée de son esprit, qui n’a rien à voir ni à partager avec celui de l’être humain doué de parole sous le coup d’une tentative d’anéantissement.
Le paranoïaque, toujours selon Perrier, entend des voix et ces

« ...voix parlent à l’extérieur de lui. Il demande qu’on renforce sa certitude délirante. Il se fait persécuter par le structuré imaginaire du “Qu’en dira-t-on”. »

Je ne me permettrais pas d’ajouter quoi que ce soit aujourd’hui à cette définition.

M. W.
7 novembre 2003


                             
ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
© 1989 / 2016