Psychanalyse et idéologie

Psi . le temps du non

Micheline Weinstein

Lettre à un Âgé et aux siens

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Il est plus facile d'élever un temple que d'y faire descendre l'objet du culte

Samuel Beckett • « L'Innommable »

Cité en exergue au « Jargon Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object

Samuel Beckett  « The Unspeakable one »

Underlined in « Jargon of the authenticity » by T. W. Adorno • 1964

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Personne n'a le droit de rester silencieux s'il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l'âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.  
Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil is made somewhere. Neither the sex or the age, nor the religion or the political party can be an excuse.

Bertha Pappenheim

point

ψ  = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s'adresse à l'idéologie qui, quand elle prend sa source dans l'ignorance délibérée, est l'antonyme de la réflexion, de la raison, de l'intelligence.

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© Micheline Weinstein / 25 février 2015

 

 

Lettre à un Âgé et aux siens

 

Paris, le 25 février 2015

 

Cher Âgé, puisque c’est ainsi que tu désignes “les tiens es-profession”

 

J’ai apprécié ta réaction immédiate à l’article du Dr Robert Rozett, Un raz de marée antisémite, transmis par notre secrétariat. Et hélas n’ai pas été surprise que tu manifestes ta peur devant les ravages de ce raz de marée et la débâcle qu’il entraîne. Il est bien tard, mais la peur, pour qui ne mène pas une guerre aux idéologies et à ses langages, reste bien souvent mère de la pleutrerie. Il vous reste aujourd’hui, si tu/vous le pouvez, à faire preuve de courage.

Ces temps-ci, on n’entend guère les “psychanalystes”. Apparemment ton association préfère le cinéma plutôt que l’étude, le savoir, la terminologie, l’exercice du métier dont vous vous réclamez.

Un exemple : le vocable de “confession juive” qui, quoique des penseurs s’en alarment et alertent désespérément, bien sûr en vain, définit imperturbablement les Juifs. Globaliser les Juifs en une “confession”, une “communauté”, n’est-ce pas l’expression d’un mépris envers la liberté d’être de chacun ? Cela ne semble guère vous émouvoir.

Un autre : “amalgame”, identité “antisémitisme-islamophobie”… si j’ai bien entendu, les exactions commises contre les lieux de cultes musulmans, aussi condamnables soient-elles, sont exclusivement matérielles ; les Juifs, outre les insultes, les agressions, la violence sauvage, on les tue.

Le “nouvel antisémitisme”… peut-être… mais comme le déclarait avec sa superbe gouaille Arletty avant qu’on lui rase la tête pour fait d’amour collaborationniste avec une autorité nazie, « Qui, dans le monde entier, l’a laissé entrer ? » Certainement pas les musulmans eux-mêmes, certainement pas les Juifs.

De notre côté, pour ne pas remonter plus avant, en 2002, et à l’intention des tiens/vôtres psychanalystes, entre les deux tours des présidentielles, nous avions haut et fort sonné le tocsin, dans un petit opuscule que nous avions publié, intitulé « Chronique d’un printemps 2002 », que vous aviez reçu alors par la poste (200 ex.).

J’ai retraduit, parmi beaucoup d’autres extraits en 45 ans, la lettre de Freud à Einstein, prémonitoire de ce qui nous frappe.

Aux antipodes de l’Allemagne et de l’Angleterre, qui assurent une formation soigneuse, disons classique, des psychanalystes praticiens, en clones de l’Amérique, après vous être prosternés plus d’un demi-siècle devant Lacan, déniant, zappant, écartant délibérément l’idéologie plus que contestable diffusée dans ses discours et ses écrits (de 1938 à 1974), ses calembours blessants sur la personne de Freud, vous vous êtes soumis avec délices et suffisance aux modes culturelles, au snobisme, à la cupidité, à l’esprit de caste… ; vous avez aplati, mis en pièces le vocabulaire, le nom propre de la psychanalyse, que vous avez, non seulement fourguée à la philosophie, histoire de vous dispenser de mettre la théorie de Freud et ses applications cliniques à l’épreuve (trop fatigant, pas rentable ?), mais de plus, à la satisfaction du grand public, vous l’avez réduite consciencieusement à un gadget. Avez-vous seulement relevé que l’on ne se réfère quasiment plus, dans les médias, dans le langage commun, la vox populi, au terme de “psychologie”, mais à celui de “psychanalyse” à tout bout de champ, en complète ignorance de la discipline ?

Par ailleurs, les tiens, les vôtres, médecins, psychiatres, eux, imbus de leur dédain envers les psychanalystes dit “laïcs”, ne se sentent pas concernés, protégés qu’ils sont par leur homologation au Conseil de l’Ordre.

Âgé, tu es une figure de proue des mœurs de la “modernité”. Récemment encore - et ce n’est pas la première fois - tu publies un livre sans citer ni tes sources ni leurs antécédents.

Voilà donc ce que je t’ai répondu.

 

2 février 2015

 

Âgé

 

Cela t’aurait vraiment été insupportable de mentionner que notre association avait publié une première fois ton livre « Rêver de réparer l’histoire » en 1995, dont d’ailleurs j’ai réécrit bien des passages illisibles ?

À ton avis, la mesquinerie est-elle compatible avec la psychanalyse ?

Micheline W.

 

12 février 2015

 

Âgé

 

Je viens seulement de trouver ton message téléphonique sur mon cellulaire, dont je ne me sers que hors chez moi.

Ainsi, tu ne peux t’empêcher de me menacer, ce dont tu es coutumier. Aurais-je déjà une seule fois manifesté depuis plus de 30 ans la moindre intention d’engager une procédure à ton encontre ?

Comme on dit, il n’est pas dans ma nature de manger de ce pain-là.

J’ai simplement, et effectivement à plusieurs reprises, espéré une certaine élégance de ta part, ne serait-ce que par égard pour le travail que j’ai effectué.

Quelle hargne, Âgé ! Ainsi : “Arrête, sinon ça va chauffer dur !” ? Décidément, à toi et beaucoup des tiens, j’ai essayé pendant 30 ans de parler normalement pour, en réponse, ne rencontrer qu’une savante surdité, le vide abyssal du mépris de la parole d’autrui.

Cesserez-vous un jour de vous dédouaner bassement de vos mesquineries en vous débarrassant de l’existence de qui vous chiffonne l’autolâtrie à coups d’injures diagnostiques ?

Tu continues délibérément de refuser de m’entendre.

Je dis ce que je pense et l’inverse.

Plutôt que chaparder les adresses, emprunter sans vergogne les idées d’autrui, pérorer, écrire (mal), tel le chantre de sujets dont tu ne prends pas la peine d’en approfondir le sens et la portée, si tu avais consenti à considérer a-minima mes travaux, dans lesquels depuis 45 ans je présente mon point de vue, plus précisément sur l’intrication psychanalyse/déportation, tu saurais qu’il est hors de propos que je cède sur ma liberté de dire et de penser.

Cela me coûte assez cher et tu le sais, puisque tu n’as cessé de contribuer généreusement à ce que ma parole soit empêchée. Remarque, tu n’es pas le seul, la chose a commencé en 1979, à la publication au Seuil, d’« Histoire de Louise », préfacé par Françoise Dolto…

Quoi de plus facile en effet de ne pas respecter la parole d’une femme qui, par le hasard de son histoire personnelle, n’a eu d’autre choix que de se faire témoin de son temps ?

Tu incarnes, à mes yeux, l’exemple parfait, de cette sacro-sainte “fraternité”, l’un des trois emblèmes de la République, laquelle fraternité a oublié qu’elle fut, depuis plus de 2000 ans, initiée par le meurtre d’Abel par Caïn. C’est pourquoi d’ailleurs j’aurais préféré que la République adopte la “solidarité” plutôt que la “fraternité”.

Mais j’allais oublier le mot d'ordre à la mode : “empathie” ! Du peuple français devant la tuerie de la supérette casher ?

Dans le cosmos psychanalytique, nous venons de deux planètes opposées…

Si la singularité t’avait intéressé, juste par goût du savoir, tu aurais apprécié, non mon parcours personnel, mais les quelques extraits ci-dessous par lesquels j’ai été enseignée.

Ils sont issus du « Petit glossaire des concepts freudiens appliqués à la clinique selon François Perrier », que j’ai publié en 2000, et que vous avez reçu par la poste à l’époque. Mais ce ne sont pas les seuls. Avec celui de François Perrier, les noms et travaux des psychanalystes garants de ma formation figurent sur notre site.

Le volume entier du « Petit glossaire… » (70 pages), relu et augmenté depuis, avec notes et références, est toujours disponible sur demande.

 

Micheline W.

 

Extraits du

Petit glossaire des concepts freudiens

appliqués à la clinique selon François Perrier

Établi par Micheline Weinstein

Éd. ψ [Psi] • Le temps du non / Octobre 2000, 70 pp.

 

Autre

 

N’est personne.

 

Clinicien

 

Nous sommes cliniciens très proches de Freud lorsque, par principe, il se récuse devant les sollicitations de la philosophie et les pièges du cogito.

 

Écoles

 

Appareils à conditionner des “moi” analytiques solides, à partir d’un portrait-robot inexpressif qui sert d’icône ou d’alter ego, soit à ceux qui ont besoin de sécurité, soit à ceux qui, prétendant entrer dans un club fermé, en adoptent d’abord les bonnes manières.

 

Praxis

 

Speed and beauty ? C’est, à notre sens, un des registres exigibles de référence pour l’aujourd’hui et le demain de la praxis freudienne en sa poétique. Il faut que ça boite, que ça achoppe dans l’espace d’énonciation qu’est la psychanalyse, pour que celle-ci se fonde comme chant d’espérance en champ de transubjectalité. Ceci en deçà de toute prétention à la transcendance, mais pour la mobilisation vivifiante de l’inconscient.

 

Psychanalyse

 

Subversion virtuelle de toute science établie et définitivement inscriptible. N’est pas situable dans le même registre que celui où parlent le savoir et les discours sur la psychanalyse. Le champ freudien, l’espace analytique, comme d’aucuns appellent le terrain de la cure, n’est donc pas, à notre sens, cernable ou topologisable par le crayon d’une psychologie de l’intersubjectivité. Nous le définissons comme transubjectal, au nom des considérations précédentes. L’analyste, quels que soient ses capitaux culturels et ses modes d’empathie, voire ses manières d’être, doit rester à l’abri de ce qui serait une intelligence de l’autre. In vivo, in situ, le projet freudien recoupe avec un stylet de l’exigible style d’une interprétation, toute théorie de la connaissance.

 

Psychanalyse (objet de la)

 

L’inconscient. Voir à Objet.

 

Psychanalyste

 

Doit “souffrir de réminiscences...” Est le support du phantasme de l’autre. Récipiendaire, apte à recevoir le dictionnaire propre à chacun que constitue le savoir de la névrose. Est toujours en position troisième entre la relativité du savoir et la chute des anges de la vérité. En outre, s’il soutient comme il le peut cette assez difficile partie, il suscite en son interlocuteur, ou interlocutrice, le réveil des premières positions dépressives et des haines indicibles de l’âge pré-verbal. Il est ainsi, dans le mouvement pulsionnel des corridas de la libido, toujours menacé de mise à mort ; et il doit en survivre, sans tuer en l’autre le meurtrier qu’il n’est pas. Il doit se laisser inventer répétitivement pour que l’hors-je de son écoute soit au service des enjeux de l’autre.

 

Répétition (Automatisme de)

 

Se répète lui-même. Dont la plus-value se trouve dans ce que l’on appelle les bénéfices secondaires de la névrose. Système solipsiste, fermé, autarcique.

 

Répétition (principe analytique de)

 

Peut avoir des effets variables, imprévus, voire paradoxaux, selon la structure de celui qui s’engage dans l’analyse. Toute praxis freudienne étant subversion de la clinique, et tenant compte qu’il n’existe pas de cas purs, c’est en schématisant à l’extrême que l’on dira que l’hystérique pourra s’engager, sans trop d’angoisse, dans l’aventure de son désir sexué. Chez l’obsessionnel, la même stabilité, perçue comme un défi en écho, ne fera que renforcer les défenses du moi. Le pervers vient chez l’analyste acheter, sans économie, le répétitif de la fonction épistémique pour mieux négocier ailleurs les répétitions tarifées et anonymes de la jouissance. Pour le psychotique, l’instauration de la situation analytique [répétition] peut avoir pour fonction de révéler un délire latent. L’érotomane, dans sa vindication passionnelle*, veut tuer, en son interlocuteur, non désirant, la régularité ressentie comme prétention de permanence impavide défiant la détresse haineuse du devoir-exister-sans-dieu-d’amour.

 

* Vindication • A - Revendication, réclamation ;  B - Rancune, esprit de vengeance.

 

Science (la psychanalyse comme)

 

Le réel de la science est lié à l’abolition des sujets désirants. On peut donc dire que toute science, et toute épistémologie des sciences, tendent à exclure le désir du champ qui lui est propre, pour mieux déterminer son objet. Il s’ensuit, pour la psychanalyse, une double vocation contradictoire : d’une part, fournir aux sciences une démarche épistémologique nouvelle qui ferait, à la limite de la psychanalyse, la science de la science ; d’autre part, ne pouvoir s’identifier elle-même à cette démarche scientifique sans récuser son propre objet, puisque cet objet est le désir inconscient du sujet. On retrouve la preuve de cette constante et permanente contradiction dans la concurrence qui persiste entre la théorisation psychanalytique et l’empirique de sa pratique. D’un côté, la psychanalyse peut tendre à une écriture désubjectivée, dont la rigueur logique donnerait à la découverte freudienne ses lettres de noblesse au royaume de la science. Mais d’autre part, la psychanalyse est mise en acte méthodologique d’un processus relationnel qui tend à réinventer chaque fois, toujours singulièrement, la découverte freudienne, entre deux sujets qui cherchent à la “retrouver” pour la résolution d’une organisation conflictuelle et névrotique. C’est une situation unique dans l’histoire des sciences conjecturales de l’homme. Il n’y a pas un sujet et un objet en son champ propre, il y a deux sujets ; c’est-à-dire deux réalités psychiques se soumettant, l’une envers l’autre, à une série de règles, pour une re-spécification singulière des concepts d’un savoir métaphorique toujours caduc. Il y a, en psychanalyse, deux savoirs toujours mis en question pour la vérité d’un seul, à partir du contrat noué entre deux sujets, asymétriquement liés par des règles opératoires qu’ils se sont données comme prise en considération des concepts et hypothèses de la découverte freudienne. La science peut devenir dieu suprême, horreur dernière et fascinante, surmoi implacable du freudien, pour une jouissance létale qui est anti-libido et assassinat d’Éros.

 

Silence

 

Pouvoir le plus terroriste qui soit.

 

Sublimation

 

À ne pas confondre avec idéalisation. Autre du non-soi. Inséparable de désérotisation. La sublimation nous ramène aussi bien à la fonction analytique qu’à l’amour et à la création artistique, où il s’agit que la pulsion ne soit pas assumée au nom du sujet qui en est porteur mais au nom d’un autre manquant pour un autre virtuel. La sublimation est un des points de butée de la théorie freudienne pour autant que c’est exactement la question du désir de l’analyste.

 

Surmoi collectif

 

Les analystes n’en sont pas encore venus à se passer du mythe du tiers médiateur ; figure du surmoi collectif, dépositaire du savoir-qui-fait-loi. De ce mythe, il ont besoin pour la bonne conscience de leur ambition, laquelle, à la limite, identifierait le plus savant des dépositaires à cet Agresseur du désir.

 

 

ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
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