De : psychanalyse-et-ideologie04@orange.fr
Date :14 février 2023
Objet : Lumière du monde
Texte
complet en pièce jointe PDF
« Vous êtes la lumière du
monde »
[Les lectrices, lecteurs, vidéastes intéressés
pourront se reporter aussi au documentaire de Yona Dureau, en français et
anglais, Chrétiens dans un monde de l’Islam,
http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/media/ChretiensFr35min24.mp4
http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/media/ChretiensFr60min30.mp4
En
avril 2002, je fus confrontée à une situation de crise, celle vécue par les
Chrétiens d’Orient dans les territoires palestiniens, situation de tension et
d’oppression qui culmina avec la prise d’otages de l’Église de la Nativité. - Yona Dureau
La
Basilique de la Nativité à Bethléem abrite les Chrétiens de l’Église orthodoxe
grecque, de l’Église orthodoxe arménienne et de l’Ordre franciscain.
Lorsque
j’ai rencontré Yona Dureau en 2005, le documentaire « Chrétiens dans un
monde de l’Islam », qu’elle avait tourné sur le vif en 2002 dans des
conditions difficiles décrites par elle ci-dessous, n’avait toujours pas trouvé
de diffuseur. Notre bouquet d’adresses était alors étoffé, c’est ainsi que je
lui ai proposé de le rendre public. Nous l’avons édité d’urgence sur notre
site, après en avoir numérisé la cassette magnétoscope.
La
construction de ce film est indissociable du texte de Yona, « Le document,
utopie du documentaire • Réflexions sur l’expérience d’un premier film »,
placé sur notre site depuis 2005 à l’adresse suivante,
http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/livres/utopdoc.html
Ce
film, prémonitoire de la tragédie que les Chrétiens d’Orient comme de toute
obédience subissent de nos jours, malgré mon insistance auprès de leurs
représentants, ne reçut aucun écho du monde occidental. MW]
ø
© P. Luc de
Bellescize
P. Luc de Bellescize+
SVP
Dimanche 5 février 2023
5e dim. TO, A. Mt 5, 13-16 : « Vous êtes la lumière du monde ».
Chers frères et soeurs,
Quelques
jours avant sa mort, je suis allé voir Jean Vanier avec l’archevêque. Il était
à la maison Jeanne Garnier, en soins palliatifs, qui sont l’unique chemin digne
de la fin de l’homme et du caractère sacré de sa vie : soulager la souffrance
physique et morale, éviter les traitements disproportionnés, ne jamais donner
la mort mais consentir à notre finitude. Tant de fois, comme prêtre, nous nous
rendons au chevet des mourants, recueillir une dernière parole, un sourire, un
regard, recevoir une ultime confession avant le grand passage. Devant l’homme
qui meurt les gestes les plus humbles revêtent une signification plus profonde,
plus incarnée, comme si la fin du chemin donnait une réalité plus intense à
toutes choses. Il y a près des mourants un surcroît de vie, une densité de
présence réelle. On humecte des lèvres trop sèches, on présente un peu de
compote dans une petite cuillère, on entend le rire tranquillisant d’une
infirmière antillaise pour qui rien n’est si dramatique qu’il faille perdre sa
joie, on serre une main fragile, on redresse un oreiller. L’amour descend dans
l’humilité du quotidien. On donne de la vie aux jours quand on ne peut plus
donner de jours à la vie. On donne du sel à la terre quand elle s’en va vers le
ciel, et chaque instant qui passe revêt une saveur particulière, une couleur
plus éclatante.
Au
soir de la vie les corps s’abaissent et les âmes s’élèvent… On voit parfois
l’âme qui affleure dans la transparence d’un corps fragile comme une lumière
bienheureuse à travers les ombres. Il ne faut pas voler aux hommes le mystère
de leur mort. Elle n’appartient à personne, pas même à celui qui meurt. Ma vie
ne m’appartient pas comme une chose dont je puis disposer à ma guise. Je porte
en moi d’autres vies, tout un tissu de relations qui m’ont façonné. Mon coeur
bat au rythme d’autres coeurs. Mon corps ressemble à d’autre corps. L’homme est
ce fragile coquillage que l’on porte à son oreille et dans lequel on entend
bruisser la mer immense. « Dans notre vie comme dans notre mort nous
appartenons au Seigneur » dit l’apôtre (Rm 14, 8). Prions et agissons pour que
les hommes meurent dans la dignité. La dignité d’une vie que nul ne leur prend
pour qu’ils aient la grâce de la remettre entre les mains de Dieu, de préparer
leur coeur au grand passage. « Ma vie, nul ne la prend, dit le Seigneur, mais
c’est moi qui la donne » (Jn 10, 18). « J'aimerais pouvoir recueillir toute ma
vie au creux de mes mains, avoir le temps de l'élever vers Dieu et de la Lui
donner comme mon humble offrande d'homme » écrivait Guy de Larigaudie dans
Etoile au grand large. J’aime aussi ce beau poème de Rainer-Maria Rilke sur la
mort :
«
O Seigneur donne à chacun sa propre mort Sa mort qui vienne de sa propre vie Où
il connut amour, sens et détresse Car nous ne sommes que l’écorce et la
feuille. La grande mort, que chacun porte en lui, Là est le fruit autour de qui
tout gravite. »
Je
dois dire que Jean Vanier m’avait paru lumineux de Dieu, comme rempli de sa
Présence. Je ne savais rien alors de sa responsabilité personnelle dans le
délire maléfique du Père Thomas. Il m’avait dit : « Si Jésus veut que je parte,
je pars. S’il veut que je reste, je reste ». Dieu seul sonde les reins et les
coeurs, même s’il y a un grave devoir à reconnaître l’objectivité du mal et à
prendre soin des personnes victimes d’un système pervers. J’avais passé six
mois dans une communauté de l’Arche en Irlande, auprès de ceux qui portent un
handicap mental. Je n’idolâtrais pas Jean Vanier, mais j’avais pour lui estime
et reconnaissance. Il ne faut pas idolâtrer les hommes, encore moins les choses
ou les causes. Mais la tendance à l’idolâtrie est profondément inscrite dans
nos coeurs blessés. Quand l’homme perd le sens de Dieu, il livre alors toute sa
vie pour des combats, des lobbies ou des choses, il se met à poursuivre des
chimères et des rêves pleins de vent pour tenter de combler, en vain, la soif
éternelle qui habite son coeur. Et quand un chrétien perd de vue qu’au Christ
seul revient la gloire, il risque alors d’idolâtrer tel fondateur ou tel
pasteur charismatique, de réveiller ses failles cachées et de nourrir ses
fêlures narcissiques. « Petits enfants, gardez-vous des idoles » dit saint Jean
à la fin de sa lettre (I Jn 5, 21). Je pense que nous avons là un examen de
conscience à faire. Cela n’enlève rien à la responsabilité personnelle de ceux
qui font le mal et détournent les âmes sous le masque de la piété, ni ne
dédouane l’Église de ses propres aveuglements. Mais nous façonnons aussi, pour
une part, nos propres idoles… L’idole est une fausse lumière qui capte le
regard et l’enferme. L’icône est la seule vraie lumière qui conduit vers le
Père. Pour moi Jean Vanier était une icône, comme pour beaucoup. Je sais
maintenant qu’il a gravement trahi l’Évangile. Je me refuse pourtant à croire
que toute son oeuvre se réduit à sa part d’ombre et de turpitudes. Nul n’est
totalement monstrueux. « Souviens-toi, disait le Père Jacques Sevin, que dans
l’être le plus disgracié comme le plus obscur luit une étincelle divine qui
mérite notre amour ».
Je
voudrais vous confier combien il est difficile d’être prêtre aujourd’hui et de
garder toujours notre joie. Priez pour vos prêtres, aidez-les à devenir
toujours davantage conscients de leur appel, de la beauté de leur mystère. Sans
prêtres pas d’Eucharistie, par de pardon donné dans le sacrement de la réconciliation.
Mais nous portons la splendeur du sacerdoce dans des vases si fragiles. Il y a
bien sûr des scandales qu’il faut dévoiler pour en guérir et reconnaître ceux
qui ont été blessés, comme le délire satanique des frères Philippe ou la
scandaleuse affaire Rupnik, qui souille l’Église en plus haut lieu... Mais il
faut savoir aussi jeter un voile pudique sur la faute de nos frères quand elles
ne relèvent que d’une faiblesse et ne pas détruire l’entière réputation d’un
homme pour finalement peu de choses. Il faut donc demander la clarté du
discernement. La lumière de la vérité n’est pas la transparence absolue sur
toutes choses, mais le discernement progressif entre ce qu’il faut dire et ce
qu’il faut taire, à qui l’on doit le dire et à qui l’on doit le taire.
J’ai
été ordonné prêtre il y a 13 ans, j’ai l’impression de vivre aujourd’hui dans
un autre monde, dans une Église qui a perdu une part de sa clarté, de sa
lumière et de son sel. Une Église qui semble douter d’elle-même et du trésor
qu’elle porte en elle, avec de nombreux pasteurs et même des évêques et des
cardinaux qui, particulièrement dans les diocèses les plus riches d’Occident,
comme des loups déguisés en brebis, cherchent à aligner l’Église sur l’esprit
du monde et à l’inféoder servilement aux lobbies dominants. La révélation
incessante de scandales blesse notre coeur. « Le visage si sale de ton Église
nous effraie » disait le cardinal Ratzinger lors du chemin de croix du Colisée,
alors que saint Jean Paul II vivait ses derniers jours. De nombreux fidèles se
sentent désorientés, de simples prêtres humiliés dans le combat joyeux et
douloureux parfois de leur célibat consacré. Et pourtant, je voudrais vous
redire, et je m’adresse aussi cette parole, moi qui me sens toujours capable du
pire : n’ayons pas peur. Le Seigneur veille sur nous. N’oublions pas notre
joie, la saveur que donne le sel de la foi.
Le
sel permettait de conserver les aliments. Il est le signe de ce qui demeure et
lutte contre la corruption. Il faut nous attacher à ce qui demeure quand tant
de choses passent... L’esprit d’adoration, l’écoute de la Parole de Dieu, le confession fréquente, la sainte communion, l’amour de la
Vierge. Voilà les piliers de l’Église. Sans le coeur qui bat le corps est mort.
Trop de congrès dans les séminaires, de sessions dans les universités
catholiques, de plans pastoraux ne sont que vanité des vanités, brassage
narcissique de mondanités phraseuses, enflure démesurée du Moi. C’est dans mon
coeur que se joue le grand combat pour la purification de l’Église, comme dans
le vôtre. Non pas d’abord dans la réforme de la Curie ou dans des modifications
structurelles - parfois nécessaires évidemment - mais dans l’intimité d’une âme
qui se tourne résolument vers le Christ, la vraie lumière qui illumine tout
homme en venant dans le monde. N’oublions pas cette bienheureuse lumière au
milieu de nos ombres. « Jésus, lumière intérieure, comme le chantent les frères
de Taizé, ne laisse pas mes ténèbres me parler » … Ne laisse aucune ténèbre me
parler. Car « la ténèbre n’est pas ténèbre devant toi et la nuit comme le jour
est lumière ».
Amen.