Psychanalyse et idéologie

Micheline Weinstein • Extrait de Journal ininterrompu • Vrac 4-6 avril 2017

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Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • L'innommable

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object

Samuel Beckett  « The Unspeakable one »

Underlined in « Jargon of the authenticity » by T. W. Adorno • 1964

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Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.

Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil is made somewhere. Neither the sex or the age, nor the religion or the political party can be an excuse.

Bertha Pappenheim

point

ψ  = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s’adresse à l’idéologie qui, quand elle prend sa source dans l’ignorance délibérée, est l’antonyme de la réflexion, de la raison, de l’intelligence.

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© Micheline Weinstein

Journal ininterrompu

1967-2017 

 

04-06 avril 2017


Vrac
 

Pourquoi reprends-je, inlassable, mêmes thèmes depuis 50 ans ? Pour ceci : l’intox logorrhéique, psittaciste, que répandent certains médias d’information, films, documentaires - rappelons-nous Gœbbels : plus le mensonge [le slogan] est gros, plus il passe - la censure idéologique, n’affectent pas seulement les domaines de la politique, de l’éducation, du journalisme, de la littérature, de l’édition, des sciences et des arts, etc., en cinquante ans, quelle que soit la prise de conscience des lecteurs, auditeurs, spectateurs, voire fureteurs, ciblés, elle a infiltré sans le moindre discernement celui de la psychanalyse, de préférence dans le but de déconsidérer son promoteur, nommément Freud. D’où dans le langage courant, les emprunts et l’usage affligeants de pédantes ignorances, aux vocables propres à la psychiatrie et à la psychanalyse.

Grâce à qui, si ce n’est à des navigateurs solitaires ou groupés, charmés par les vagues ambiantes, personnages professionnels ou postulants dérivés de cercles épars agencés au nom de la psychanalyse, au mépris de sa nature singulière, son essence si l’on préfère, qui la vident de sa substance.

Actuellement, nous pouvons suivre sur France Culture une série d’entretiens accordée à un psychiatre et psychothérapeute assez renommé, dont l’un s’intitule “La psychanalyse n’est pas pour moi”. Fort bien, mais alors pourquoi, comme tant d’autres, éprouve-t-il la nécessité d’en parler ? Pour un aperçu rapide, je n’en ai écouté que le début, lequel en effet témoigne de sa déception à la suite d’une tentative de psychanalyse personnelle - je n’ai pas poursuivi pour savoir auprès de qui, Lacan ou l’un de ses élèves -, en même temps que de sa présence aux séminaires de Lacan, c’était la mode.

De la théorie de Freud, ce locuteur semblerait qu’il n’ait guère fait connaissance.

La question reste entière : en quoi la pratique (expéditive) de Lacan, non analysé - l’analyse personnelle préalable à l’exercice de la psychanalyse par les nouveaux candidats leur ayant été imposée grâce à Ferenczi à partir de 1913 -, adoptée par les élèves d’icelui et les élèves d’iceux, absolument disjointe de son œuvre philosophique et ce, aux dires mêmes de quelques parmi ses plus proches analysants-orants, dont tel ou telle fut un temps un-e collègue que j’estimais*, de même qu’aux trois visites que je lui ai littéralement “rendues”, se réfère-t-elle, se prêtait-elle, à l’exercice rigoureux de la psychanalyse ?

 

* Toutefois, niaise à jamais, j’ai été déconcertée par les types de comportement dans la réalité des analystes lacaniens, particulièrement les pires, comme cela peut arriver à tout le monde. Ce n’est toujours pas la conception que j’ai de l’éthique censée animer des psychanalystes.

 

De l’œuvre philosophique de Lacan, il n’y a rien à objecter, elle est remarquable.

Lacan, peu avant de quitter le monde des vivants, pronostiquait la mort de la psychanalyse. Était-ce après lui le déluge ? Était-ce, comme il en est du rêve, un vœu de réalisation de désir ?

La thérapeutique n’intéressait pas Lacan. Il est possible qu’il s’en soit justifié au nom de Freud qui, à 74 ans, épuisé physiquement aussi bien que par les violentes dissensions ayant jalonné ce qu’il nommait le mouvement analytique, n’étant plus intéressé par la thérapie, confiait à Ferenczi le 11 janvier 1930 :

 

Il est fort possible qu’avec les deux patients, voire avec tous, vous pratiquiez l’analyse mieux que moi. Je suis saturé par l’analyse en tant que thérapie, “fed up”, et qui donc alors devrait le faire mieux que moi, sinon vous ?

 

Réponse de Ferenczi, le 17 janvier 1930 :

 

Ainsi, par exemple, je ne partage pas votre point de vue selon lequel la démarche thérapeutique serait un processus négligeable ou sans importance, dont il ne faudrait pas s’occuper, pour la seule raison qu’il ne nous semble pas intéressant. Moi aussi, je me suis souvent senti “fed up” à cet égard, mais j’ai surmonté cette tendance, et je suis heureux de pouvoir vous dire que c’est précisément là que toute une série de questions se sont replacées sous un autre éclairage, plus vif, peut-être même le problème du refoulement.

 

Freud, le 20 janvier 1930 :

 

D’un autre côté, je vous accorderais volontiers que ma patience avec les névrosés s’épuise dans l’analyse et que, dans la vie, j’ai une tendance à l’intolérance vis-à-vis d’eux. Autrefois, en particulier - il y a donc une quinzaine d’années -, je vivais dans l’espoir qu’on pouvait compter sur une sorte d’entraînement des réactions hors normes qui n’avaient pas été élaborées directement. Je me suis certainement comporté à cet égard comme un homme peu puissant qui, après le premier coït de la nuit de noces, dit à sa jeune femme : voilà, maintenant tu l’as connu ; le reste* c’est toujours la même chose.

 

* Les lendemains ? Je n’ai pas le texte original en allemand.

 

Le 3 avril au soir, j’ai visionné le documentaire intitulé Élysée, la solitude du pouvoir sur France 3. Parmi les invités à s’exprimer, une relation probablement proche de la production ou de quelque commentateur, se présentait comme sous-intitulée “Psychanalyste” (avec majuscule). Il est permis de s’interroger sur sa formation reçue à la psychanalyse et sur quoi porte son auto-attribution au titre de psychanalyste (qui, cela va sans dire, silicet en latin, selon Lacan, ne s’autorise que de lui-même…). En effet, qu’analysait-elle de la solitude du pouvoir ? Rien. Rien que des platitudes telles qu’on les lit dans certains magazines à l’usage de celles et ceux que leurs rédacteurs toisent, du haut de leur suffisance, comme du servum pecus (troupeau en latin).

Par contre, ces derniers temps, Le Figaro-Santé ouvre régulièrement ses colonnes à des psychanalystes confirmés qui, pour enrichir leur pratique, travaillent les textes de leurs prédécesseurs. Ainsi le 1er avril, Jean-Michel Fourcade se réfère à Hélène Deutsch, Donald Winnicott…

De mon côté, sur le sujet précis de l’autisme, je n’ai cessé, à peu près en vain, d’inciter les collègues à lire les travaux sans équivalents de Mira Rothenberg, dernière analysante encore en vie de Paul Ferdern, jusqu’à sa mort à 93 ans en avril 2016, que j’avais rencontrée à Paris en 1979 lors de la publication au Seuil des Enfants au regard de pierre (retraduit, ainsi que de larges passages, par mes soins, sous le titre Enfants aux yeux d’émeraude • Histoire de mômes prodigieux).

 

http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/courrier/2009.mira.html

 

http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/media/ITVMiraRothenberg.html

 

http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/livres/enfantsdeplaces.html

 

http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/livres/mirarothenberg.html

 

Et aliiEn 2009, j’ai passé un bel après-midi d’automne, chez elle à Brooklyn. Et suis repartie avec l’ensemble de ses archives relatant son parcours, à usage exclusif pour leur traduction française.

Extraits du New York Times pour qui s’intéresse aux enfants juifs et à leurs parents issus de la déportation et plus largement aux orphelins de tous horizons abîmés par l’histoire des humains :

 

Mira Rothenberg, survivante de l’holocauste et psychologue infantile de premier plan qui s’occupait des orphelins des camps de concentration et des enfants atteints d’autisme, est décédée à l’âge de 93 ans le 16 avril, a rapporté hier le New York Times. Rothenberg est née à Vilnius, en Lituanie en 1922. Son père, Jacob Kowarski, a péri à la Seconde Guerre mondiale, et sa mère, Rose Joffe, dentiste, a émigré pendant la guerre en Amérique avec les deux frères et sœurs plus jeunes de Rothenberg. En 1939, Rothenberg déménagea à New York où elle a entrepris le travail de sa vie. Elle s’est portée volontaire dans une synagogue locale pour s’occuper des orphelins sauvés des camps de concentration européens. Rothenberg a étudié la psychologie et l’éducation au Brooklyn College et à l’Université de Columbia, puis a obtenu un diplôme en psychologie de l’Université Yeshiva. Au cours de l’été 1958, Rothenberg et deux collègues-thérapeutes Zev Spanier et Tev Goldsman, qu’elle épousera plus tard, ont décidé d’amener 11 malades autistes et schizophrènes camper au lac Raquette dans la région d’Adirondack au nord de New York. Été qui influença leur carrière pour les décennies à venir. Leur expérience avec ces enfants, considérés comme des “cas incurables” par la communauté médicale de New York, a incité Rothenberg et Goldsman à ouvrir Blueberry Treatment Centers, un centre thérapeutique pour le traitement des enfants autistes et schizophrènes à Brooklyn. Selon le New York Times, dans les années 1990, le centre fournissait des services à plus de 200 enfants et adolescents de la région.

Dans son livre de 2012, The Children of Raquette Lake : un été qui aida à changer le cours du traitement de l’autisme, Rothenberg a écrit : “C’était le début de la reconnaissance que ces enfants existent et ont droit à la vie [...] et un changement de la perception et de l’attitude envers ces types d’enfants autistes (ou souvent mal diagnostiqués schizophrènes) et ceux souffrant de schizophrénie.”

 

En France, de Françoise Dolto, Le Cas Dominique, garçonnet autiste, semblerait avoir échoué depuis 30 ans dans les archives… La modernité, sans naturellement avoir jamais ouvert le premier de ses livres, le moindre article, a choisi de propager le racontar le plus médisant, sur une théorie, avec ses méfaits, du “Tout-Enfant-Roi”, à laquelle F. D. n’a jamais pensé, je ne suis pas la seule à pouvoir en témoigner.

Lu Révoltée, récit précédant son exécution, de Evguénia Iaroslavskaïa-Markon, dont le vocabulaire m’a évoqué, mais d’assez loin, Jean Genet, quoique sans la puissance, la splendeur d’une écriture à couper le souffle. Au cours de cette lecture, m’est passée par l’esprit la parité maritale des noms propres en russe (Iaroslavski - Iaroslavskaïa).

Ayant lu tout ce qui me tombait sous les yeux dès mon enfance, depuis une trentaine d’années hélas je trouve rarement, quelle que soit leur classification, à lire des œuvres passibles de capter mon intérêt. Cela me contrarie. Or, j’étais passée à côté d’un chef-d’œuvre de Saul Bellow, La Bellarosa connection, 153 pages.

Depuis une trentaine d’années donc, ma perception des choses, je veux l’espérer, n’étant pas encore sédentaire, je relis d’une nouvelle oreille les chefs-d’œuvre d’antan, Freud et les travaux qui firent évoluer la psychanalyse.

L’unique point, depuis 30 ans également, que je ne parviens pas à apprivoiser, est que le perfectionnement pourtant fort ingénieux des outils informatiques et la vitesse effrénée qu’il impose dans tous les domaines, ont complètement détraqué mon rythme naturel biologique, moteur de la pensée.

C’est tout pour aujourd’hui.

 

 

ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
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