© Luc Rosenzweig / Février 2010
Luc Rosenzweig
Les Juifs de France et la gauche, que
reste-t-il de nos amours...
Avec l’autorisation de l’auteur
Première parution février
2010
causeur.fr
Luc Rosenzweig est écrivain
; il
a été rédacteur en chef du
Monde et de Libération
Ces dernières
semaines, les gazettes se sont intéressées
au renouvellement du comité directeur du
Conseil représentatif des institutions
juives de France (CRIF).
Le Journal du
Dimanche,
suivi par Le Monde ont pointé du doigt une “droitisation”
de la communauté juive organisée.
Celle-ci se traduirait par la brillante élection
de l’avocat Gilles-William Goldnadel, et
la réélection plutôt poussive
des membres de ce comité marqués
à gauche, comme l’ancien président
de l’UEJF Patrick Klugman, aujourd’hui
conseiller de Paris (PS) ou Gérard Unger,
un proche de Laurent Fabius.
Le propos de ces
analyses est limpide : démontrer la tendance
au “repli communautaire” des responsables
associatifs juifs rassemblés au sein du
CRIF. Dans la foulée, les mêmes commentateurs
font le lien entre la cuisine interne de cette
organisation, et l’exclusion des représentants
du PC et des Verts du fameux repas annuel du CRIF,
où les personnalités politiques
de premier plan, de droite comme de gauche, ont
coutume de participer, en dépit de la médiocre
qualité de la nourriture (1).
Outre que l’on
n’avait pas, sous la plume de ces mêmes
analystes ou de leurs prédécesseurs,
pu lire naguère d’éloges dithyrambiques
du CRIF lorsqu’il était dirigé
par des personnalités plutôt marquées
à gauche, comme Théo Klein ou Henri
Hajdenberg, on pourra objecter qu’à
leurs yeux, le soutien à Israël constitue
un incontestable marqueur de droite. Et inversement,
la critique systématique, voire obsessionnelle,
de la politique israélienne vaudrait certificat
d’appartenance à la gauche.
Ainsi, hormis son
activité d’avocat poursuivant ceux
qu’il considère comme des antisémites
(Dieudonné) ou des détracteurs d’Israël
ayant à ses yeux franchi la ligne rouge
- Edgar Morin et consorts – (2),
il ne me semble pas avoir entendu Gilles-William
Goldnadel participer de manière active
au débat politique franco-français.
Pas plus que le
président du CRIF Richard Prasquier, d’ailleurs,
à moins que l’on ne considère
qu’habiter Neuilly-sur-Seine vaut une inscription
d’office à l’UMP…
Quant à
la non-invitation à dîner de Marie-Georges
Buffet, Cécile Duflot ou Olivier Besancenot,
on peut comprendre, sinon excuser qu’une
organisation se refuse à servir d’amphitryon
à des gens qui ne cessent de lui cracher
dessus. J’exagère ?
A-t-on entendu
Cécile Duflot désavouer la sénatrice
verte Alima Boumedienne-Thiéry qui s’est
affichée récemment en Sorbonne avec
les représentants du Hamas et du Hezbollah
?
Faut-il faire le
baisemain à une secrétaire générale
du PCF qui soutient le boycott des produits israéliens
?
Si c’est
se “droitiser” que de considérer
que ces formations politiques ne méritent
pas plus que le Front national de se prévaloir
d’une amitié avec la communauté
juive de France, alors va pour la droitisation.
Par ailleurs, l’injonction faite aux représentants
de la communauté organisée de prendre
leurs distances avec les gouvernements israéliens
qui se sont succédé ces dernières
années n’a aucune raison d’être
: cette critique est menée par les Israéliens
eux-mêmes dans le cadre du débat
démocratique interne à cette nation.
Si Israël
était un pays totalitaire à la manière
de l’URSS d’hier, on pourrait à
bon droit reprocher à ses soutiens français
de cautionner par leur silence des pratiques inacceptables.
Et comme l’a
dit Hillel : “Si je ne suis pas pour
moi, qui le sera ?”.
Cela dit, la désaffection
des Juifs d’aujourd’hui pour la gauche
est un phénomène que la “sociologie
spontanée” pratiquée au café
du commerce casher ne manque pas de souligner,
soit pour le déplorer, soit, au contraire
pour s’en réjouir.
Où sont
passés les gros bataillons de Juifs communistes
lecteurs, jadis de la Naïe Presse
en yiddish ? Que sont devenus les “bundistes”
de la rue René Boulanger et du cercle Gaston
Crémieux ?
Bien sûr,
le Cercle Bernard Lazare et l’Hachomer Hatzaïr
existent toujours comme lieu de rassemblement
de la gauche sioniste française, mais ce
n’est pas leur faire injure que de constater
leur perte d’influence au sein de la communauté.
Si l’on essaie
d’aller un peu au-delà de cette sociologie
spontanée, et qu’on a la curiosité
de consulter les études de sociologie consacrées
à ce sujet, on découvre que le comportement
politique des Juifs de France est banalement déterminé
en première instance par le statut social.
En gros, les riches votent à droite et
les pauvres à gauche.
En dépit
du tabou français sur les statistiques
ethniques, deux éminentes sociologues,
Dominique Schnapper et Hélène Strudel
l’on démontré de manière
brillante dans un article paru en 1983.
Lorsque dans la
première moitié du 20e
siècle, les juifs d’Europe Orientale
fuyant la misère et la persécution
trouvent refuge en France, ils ne vont pas s’installer
directement dans le XVIe arrondissement.
Ce petit peuple
d’ouvriers et d’artisans se retrouve
mêlé au Paris populaire, celui qui
vote “rouge” et vomit le bourgeois.
Pourquoi aurait-il adopté un comportement
électoral différent de celui de
ses voisins de palier, d’autant plus que
l’antisémitisme était alors
massivement présent dans le “peuple
de droite” ?
Quant aux “israélites
français”, hormis une partie des
intellectuels juifs dont Lucien Herr et Léon
Blum sont les exemples les plus emblématiques,
ils se comportent comme leurs équivalents
de la bourgeoisie goy, à la différence
près qu’ils manifestent un républicanisme
intransigeant par fidélité à
ceux à qui ils doivent leur émancipation.
Qu’en est-il
aujourd’hui ? Les enfants de prolétaires
juifs polonais sont devenus professeurs, avocats,
hommes d’affaires et la communauté
juive de France a été profondément
marquée par l’arrivée massive
des juifs d’Afrique du Nord au début
des années 60.
Ces derniers, traumatisés
par leur arrachement forcé à la
terre de leurs ancêtres, n’adhéraient
pas spontanément à une gauche rendue
responsable, avec de Gaulle, du “bradage”
de l’Algérie Française. Peu
à peu, leur comportement électoral
s’est normalisé et tend à
rejoindre celui de l’ensemble de la population,
à la notable exception du vote Front national,
même si quelques juifs ont été
mis en avant par Le Pen.
La sur représentation
des Juifs français dans les milieux intellectuels
: université, presse, édition, traditionnellement
orientés majoritairement vers la gauche
a produit un effet acoustique pervers. Le bruit
de leurs interventions publiques a donné
l’impression que les Juifs français
échappaient au déterminisme de classe
pour régler leur comportement politique
sur des valeurs. Le couple Badinter en est l’illustration
: l’avocat d’affaires, époux
de l’héritière d’une
des plus belles fortunes de France sont d’incontestés
icônes de la “gauche morale”.
Mais cela n’invalide pas les résultats
obtenus par les tâcherons de la sociologie
de terrain : le vote juif n’en est pas un,
ou alors à la marge.
Un bobo juif est
bobo avant d’être Juif. À Paris,
il votera Delanoë comme ses copains, ou peut-être
même écolo en oubliant que l’arbre
Cohn-Bendit, “modéré”
sur la question du Proche-Orient cache une forêt
d’antisionistes rabiques peints en vert.
Ceux qui soutiennent
la thèse de la “droitisation”
des juifs de France mettent en avant l’itinéraire
de quelques personnalités hyper-médiatisées,
comme Alain Minc, André Glucksmann, Bernard
Kouchner ou Alain Finkielkraut pour transposer
en France le modèle américains des
“néo-cons” juifs venus de la
gauche et parfois de l’extrême gauche
pour se faire les idéologues de George
W. Bush.
C’est le
procès qui fut fait, par exemple à
la revue Le Meilleur des Mondes
aujourd’hui en sommeil, par la gauche bien-pensante,
celle du Nouvel Obs notamment.
Si cette estimable
revue, à laquelle je m’honore d’avoir
contribué, souffre aujourd’hui de
langueur, c’est justement parce qu’elle
n’a pas voulu rompre totalement les ponts
avec une gauche qui joue encore le rôle
de surmoi pour certains de ses animateurs, notamment
les plus jeunes, qui ne sont pas passés
par la case antitotalitaire.
Le ralliement de
quelques personnalités pipolisées
à Nicolas Sarkozy ne marque pas la montée
en puissance d’un courant “bushiste”
français, pour l’unique et simple
raison lapallissienne que la France n’est
pas les États-Unis. Sa responsabilité
réduite dans la conduite des affaires du
monde ne favorise pas l’émergence
d’idéologies politiques à
vocation universelle, si l’on excepte la
persistance d’un droit- de-l’hommisme
bien fatigué.
D’autre part,
on constate une radicalisation gauchiste des juifs
dits “antisionistes” qui se retrouvent
à Europalestine ou l’UJFP, ceux que
Shmuel Trigano nomme les “alterjuifs”.
Entre eux et la masse du peuple juif de France,
viscéralement attachée à
Israël, mais ne se déterminant pas
politiquement sur ce seul critère, il n’y
a rien.
Le vacarme qu’ils
produisent est inversement proportionnel à
leur influence, mais ils sont les chouchous des
médias qui veulent entendre dire par un
juif ce qu’ils n’osent pas affirmer
directement.
Ah, j’allais
oublier. Il existe bien un vote juif français,
mais en Israël, où ils sont près
de 150 000 binationaux à faire la queue
devant les consulats lors de chaque présidentielle.
En 1981, ils ont
voté à 75% pour François
Mitterrand contre Giscard d’Estaing.
En 2007, ils furent
plus de 80% à préférer Nicolas
Sarkozy à Ségolène Royal.
On n’a pas
besoin d’aller chercher bien loin les motivations
de ce vote, mais il serait pour le moins abusif
d’en tirer argument pour enfoncer le clou
de la “droitisation” des juifs de
France.
1 • Cette remarque gastronomique
se fonde sur mon expérience des années
90, où je participais régulièrement
à ces agapes. Les choses se sont peut-être
améliorées depuis.
2 • On peut, comme moi,
ne pas être totalement d’accord avec
cette judiciarisation de la lutte contre l’antisémitisme
et la diffamation d’Israël, mais cela
est un autre débat
ø
Mise
au point de Luc Rosenzweig
Publié
le 20 février 2010 dans Causeur.fr
De quoi suis-je
le nom ?
Dans son entretien avec Nicolas
Demorand, vendredi 19 février sur France-Inter
Bernard-Henri Lévy a, à plusieurs
reprises, évoqué le nom de Rosenzweig
pour se défendre des quolibets dont on
l’accable aujourd’hui à propos
de sa bourde sur l’affaire Botul. Comme
il ne mentionne jamais le prénom –
en l’occurrence, Franz – du philosophe
juif allemand mort en 1922 dont il fait un usage
immodéré pour se parer des plumes
du paon, je suis contraint de faire une mise au
point. Je lui interdis désormais de citer
le nom de Rosenzweig, dont je suis un des rares
porteurs vivants, pour vendre sa prose.
Luc
Rosenzweig
ø
Voici ce que nous avons trouvé
dans «
Marianne » du 27 février au 5
mars 2010 et que nous ajoutons en post-scriptum
à la note de Luc Rosenzweig.
ø
Les suites inattendues
de « l’affaire Botul »
D’après
France Inter
et Le Monde, le site Internet de Libération aurait été Contraint de fermer les commentaires
des articles sur Bernard-Henri Lévy et
l’affaire Botul face au déchaînement
de réactions insultantes ou antisémites.
« Sur
Internet, certains propos dégagent une
odeur franchement nauséabonde. Le site
de Libération
a décidé de fermer des forums
“largement plombés par des dizaines
de commentaires souvent insultants / et antisémites”
»,
lit-on par exemple dans un portrait de BHL, signé
Josyane Savigneau, dans Le Monde.
Même son de cloche sur France Inter,
dans la chronique de Nicolas Demorand : «
La tonalité générale [...]
est très violente. À tel point que
Florent Latrive, le responsable du site Internet
de Libération,
a pris la décision de fermer les commentaires
sous les articles consacrésau sujet, noyés
par des dizaines de messages, je le cite, souvent
insultants et antisémites dont le nombre
rendait impossible toute modération. »
Problème
: ces commentaires n’ont jamais existé.
L’explication de
Florent Latrive, sur le site de Libé, se voulait pourtant claire. Il s’agissait de fermetures
préventives : « D’expérience,
on sait que les articles sur BHL génèrent
ce type de commentaires. C’était le soir
et, comme on n’était pas des millions pour
modérer les commentaires, on les a fermés
préventivement », confirme-t-til à @rrêt sur images.
ø