Rudolf
van den Berg
«
SÜSKIND »
Pour l'annonce et des extraits du film,
se reporter à l'adresse suivante
http://www.youtube.com/watch?v=sSCdD9lzGNY
ø
Chère
Micheline
Nous regrettons beaucoup de ne pouvoir venir à Paris pour voir
l'exposition « Sauver les enfants »
qui, comme tu le sais, nous intéresse de très près.
Ce même mois de janvier, on peut assister ici à la première
du film «
Süskind ». C'est l'histoire
vraie d'un Juif d'Allemagne (Walter Süskind),
qui a pris, en 1942, la lourde responsabilité
de l'organisation du « Hollandsche Schouwburg
» en Amsterdam. Le « Théâtre
Hollandais » était en ce temps-là
le centre de regroupement des Juifs avant leur
déportation. Walter Süskind a usé
de sa position pour faire échapper de nombreuses
personnes, notamment beaucoup de bébés
et d'enfants en bas âge, dont moi qui étais
un petit garçon de deux ans (avec les enfants
du livre «
À la bonne adresse »).
Je t'envoie le “trailer”. Un film de fiction, bien qu'établi
sur une histoire vraie, ne peut évidemment
pas rendre compte de la vérité nue
de la Shoah, mais je pense que ce film est capable
de témoigner d'une toute petite part de
ce qui s'est passé.
Nous sommes très heureux avec nos enfants et les huit petits-enfants
et nous espérons te revoir bientôt.
Max et Maartje Arian
ø
Rudolf van den Berg réalise
un drame de guerre de choc sur Walter Süskind
par
Steven
Musch* et Max Arian
[in De Groene
Amsterdamer]
« Ce film n'était pas censé
exister »
Rudolf van den
Berg (1949) est un cinéaste Néerlandais
de premier plan et souvent primé qui a
réalisé des documentaires et des
longs-métrages tels « De Avonden
» (« Le Soir », en 1983) et
« Tirza » (2010, à partir du
livre d'Arnon Grunberg). L'identité juive
est un thème récurrent dans nombre
de ses films, ainsi dans « Bastille »
(1984) et dans son premier film « La Place
de l'étranger », documentaire dans
lequel il interroge ce que signifie pour lui être
Juif. Certains de ses films avaient pour sujet
les conséquences de l'Holocauste après
la Seconde Guerre Mondiale, il n'avait toutefois
pas osé jusqu'à présent réaliser
un film sur la Shoah. Il a pris ce risque avec Süskind,
un film-choc.
Rudolf van den
Berg - En effet, par une sorte de sentiment
inexplicable, j'ai souvent fait des films et des
documentaires sur les conséquences de l'Holocauste.
Le thème de l'Holocauste me ronge et surtout
son incompréhensibilité. J'ai passé
ma vie à lire sur ce sujet, à en
parler, à voir les films. C'est à
tous les niveaux que mon identité juive
et les séquelles de l'Holocauste jalonnent
ma vie. Seulement je craignais que l'Holocauste
soit quelque chose de trop difficile à
réaliser.
Depuis longtemps déjà j'aurais
pu concrétiser le projet de tourner ce
film sur Walter Süskind. L'idée est
née il y a dix ans. J'étais alors
à un point très difficile de ma
carrière, après avoir réalisé
un nombre raisonnable de films à succès.
Mais j'avais bien conscience - j'étais
réaliste - qu'un grand projet comme celui-ci
m'était impossible à mettre en œuvre
immédiatement.
Le drame de guerre
Süskind
se déroule pendant l'Occupation allemande
aux Pays-Bas. La communauté juive d'Amsterdam,
après avoir été regroupée
dans le « Hollandsche Schouwburg »
(« Théâtre hollandais
», rebaptisé en 1941 Joodsche
Schouwburg,
Théâtre aux Juifs),
est systématiquement expulsée vers
les camps d'extermination. Walter Süskind,
Juif Allemand, en tant que délégué
du Conseil Juif CAL, est chargé de faire
en sorte que les choses se passent le plus souplement
possible. Süskind se met alors en danger,
il se fait agent double auprès du responsable
en chef des persécutions juives, le SS
Aus der Fünten. Cela permettra à des
centaines de personnes - surtout des enfants -
d'être sauvées.
Van den Berg
- Dans ce film, j'ai enfin pu exprimer mes sentiments
de stupéfaction sur l'Holocauste. Si le
sujet essentiel du film est la résistance
juive aux Pays-Bas, j'ai néanmoins pensé
qu'un film comme celui-ci devait également
essayer d'être clair sur la mécanique
raffinée mise en place par les nazis, leur
approche diabolique, préalables à
la destruction des Juifs. Non seulement cette
histoire est émouvante et éprouvante,
mais de plus, Walter Süskind mériterait
une stèle à sa mémoire.
Süskind
n'est pas un film “de plus” sur la
Shoah. Avec Süskind,
j’ai essayé de témoigner d'un
processus qui a occupé ces dix dernières
années de ma vie.
Rudolf van den
Berg est l'un des plus grands réalisateurs
néerlandais. Il a vécu pendant des
années à Amsterdam - dans un vieux
magasin proche de l'un des canaux.
Van den Berg -
Pour gagner l'intérêt des financiers,
des producteurs et des distributeurs, il est absolument
nécessaire de résumer l'histoire
de Süskind en quelques mots. Walter Süskind
n'était pas un héros, il ressemblait
à un homme sans grande originalité.
Il n'est donc pas surprenant qu'à cette
époque beaucoup l'aient considéré
comme un traître.
Walter Süskind
(interprété par Jeroen Spitzenberger)
doit faire face à des choix moraux très
difficiles. À un moment du film il dit
au résistant Piet (Tygo Gernand) -
“Combien d'enfants vais-je pouvoir sauver ?”
Piet - “Arrêtez de travailler pour
les Allemands et pas un enfant ne s'en sortira.”
Süskind - “Dans l'obscurité
je vois tous ces visages devant moi, tant de gens
que l'on déporte quand-même.”
C’est le dilemme dans le film, si Süskind
ne continue pas à travailler pour les Allemands,
il ne pourra pas sauver les enfants, même
s'il ne les sauve pas tous
- ni quelques adultes.
Van den Berg -
Tout en tournant Süskind, je me suis trouvé confronté, moi aussi,
à un dilemme. Par exemple, je voulais que
le film ne dévie pas de la vraie histoire.
Mais dans le même temps, je voulais intéresser
un large public. Certains aménagements
étaient donc nécessaires. Pour que
le film soit compréhensible, il fallait
simplifier certaines choses.
Dans une scène,
Walter Süskind est invité par le SS
Aus der Fünten à une partouze dans
un bordel, où des jeunes filles juives
sont contraintes de travailler pour la SS. Süskind
parle avec une prostituée, elle lui apprend
ce qui se passe réellement pour les juifs
que l'on expédie en masse au“transport”.
Van den Berg -
Le bordel SS avec des filles juives a réellement
existé. J'ai vérifié et revérifié.
Ça, c’était quelque chose
que je n'aurais jamais osé inventer.
[...]
Le danger avec
un film comme celui-ci est la quetion-piège
du “good guy”
(brave type), Süskind, contre le “bad
guy”
(sale type), Aus der Fünten. Ce n'est
pas si simple, car si l'on s'y laisse prendre,
alors le film perd en profondeur.
Ce Aus der Fünten
est comme une “tache blanche, à l'encre
sympathique” dans l'histoire. Les seules
traces que Van den Berg a recueillies de lui sont
qu'il fumait des cigares et buvait avec Süskind.
Mais pourquoi il le faisait, Van den Berg l'ignore,
ce qui ne justifie pas de donner un sens particulier
au film. L'historien Presser a écrit que
Aus der Fünten “détestait que
l'on frappe des Juives dans la rue” .** Cela, Van den Berg l'a
utilisé pour composer le personnage de
Aus der Fünten.
Van den Berg -
J'ai essayé de créer un contraste
entre Aus der Fünten et Willy Lages (le SS
à la cicatrice sur le visage). Lages dans
le film est un intellectuel aristocratique, Aus
der Fünten est une sorte de garçon
de ferme isolée, qui est méprisé
par Lages et cela l'oppresse [...]
Alors, j'ai essayé de montrer pourquoi
il est sensible aux charmes de Süskind. Dans
le théâtre, ils écoutent la
musique de Mahler et Aus der Fünten dit que
sa mère était femme de ménage
d'une famille juive, où l'on jouait Mahler.
Je trouve cette réplique représentative,
parce qu'il y a tout un monde derrière.
Tout au long du film, Aus der Fünten reste
très attaché à Walter Süskind
et se sentira donc trahi, quand il apprendra que
Süskind a joué un double jeu.
[...]
Ce film est
en fait celui que j'ai voulu faire toute ma vie.
Non par devoir moral, mais chaque fois que je
réalise ce qui s'est passé il y
a 70 ans, me vient à l'esprit : tu dois
crier cela, personne ne doit l'ignorer.
Le réalisateur
n'a pas lui-même vécu la guerre.
Ses parents juifs ont pu se cacher pendant l'Occupation
et ont survécu. C'est en 1949 seulement,
bien après l'Occupation, qu'ils se sont rencontrés et c'est ainsi
que Van den Berg est né à Rotterdam.
Van den Berg -
Peut-être aussi ai-je fait inconsciemment
Süskind pour savoir ce que mes parents ont traversé.
C'était le plus important de toute ma vie.
Non parce que mes parents m'ont bombardé
d'histoires effrayantes. Au contraire, ma mère
m’a surtout raconté des histoires
drôles sur la clandestinité et s'est
montrée la moins dramatique possible sur
la guerre qui, pourtant, occupait une grande place
dans notre famille. Il m'a toujours semblé
que mes parents en ont retiré que vous
ne pouvez faire confiance à personne.
Dans mes jeunes
années, j'ai réalisé plusieurs
documentaires et j'ai fait beaucoup de débats
à ce propos. En mûrissant, j'ai acquis
une sorte de sympathie pour la méfiance
de mes parents envers le monde entier. Toutefois,
mes arguments n'ont pas convaincu mon père.
Mon père n'était pas religieux,
mais il était quand même très très
juif. Quand j'ai fait le documentaire controversé
sur mon identité juive, « La Place de l'étranger », nous avons coupé
tout contact pendant un an et demi. Il a nommé
ce documentaire tout simplement Jüdische
Selbhass (haine du Juif en soi).
[...]
Je suis naturellement
très heureux que sÜskind semble
rencontrer un certain succès. Mais d'autre
part je pense aussi : le film n'aurait pas
dû être tant le sujet est insupportable.
Cette chose dans l'histoire du monde et des hommes
n'aurait pas dû arriver...
* Steven Musch est un très
jeune journaliste. Il est le petit-fils de Gerard
Musch, l'un des chefs du réseau «
Société Anonyme »,
dont le lecteur trouvera témoignage dans
le livre de Bert Kok, «
À la bonne adresse ».
** Note de M.W. •
Je n'ai pas encore vu le film en entier, seulement
des extraits. Était-ce un témoignage
de compassion pour ces jeunes filles, de la part
du SS Aus der Fünten, qui appréciait
leurs appas au bordel ? Ou bien était-ce
parce que la maltraitance se pratiquait publiquement
et que cela le gênait ? Nous nous souvenons
qu'à partir de la mise en œuvre concrète
du plan d'extermination, les nazis ont tout fait
pour camoufler et effacer les traces de leurs
exactions... Ou encore les deux...
ø