Psychanalyse et idéologie

Micheline Weinstein • Courriers divers

ø

Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • L’innommable

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object

Samuel Beckett  « The Unspeakable one »

Underlined in « Jargon of the authenticity » by T. W. Adorno • 1964

ø

Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.

Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil is made somewhere. Neither the sex or the age, nor the religion or the political party can be an excuse.

Bertha Pappenheim

point

ψ  = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s’adresse à l’idéologie qui, quand elle prend sa source dans l’ignorance délibérée, est l’antonyme de la réflexion, de la raison, de l’intelligence.

ø

© Micheline Weinstein 

 

10 • Suite Journal ininterrompu par intermittence 1967-2020

 

Extension des post-it en vrac

 

Ich will Zeugnis ablegen bis zum letzten

[Je veux témoigner jusqu’au dernier jour]

Victor Klemperer • Journal 1933-1947

 

  23 septembre 2020

 

81e anniversaire de la mort de Freud

Le 23 septembre 1939, à trois heures du matin, Freud est mort à l’âge de 83 ans


« À l’égard du mort lui-même, nous nous comportons d’une façon très singulière : quelque chose qui s’apparente à de l’admiration envers quelqu’un qui a accompli une tâche très difficile »

Freud, in Max Schur, La mort dans la vie de Freud

 

15 septembre 2020

 

Lettre à Henriette Michaud

 

Paris, le 15 septembre 2020

Chère Henriette,

 

Excusez-moi de mobiliser votre attention, j’ai oublié de répondre à votre remarque sur l’avenir de la psychanalyse.

Je pense, comme vous, qu’il y a tout lieu d’être inquiète.

Hélas, le travail de transmission, sous ses différentes formes, auquel nous nous sommes attachés, avec d’autres, n’a pas servi à grand-chose.

Pour ma part, je continue d’essayer de rallier quelques intéressés… qui se sont faits de plus en plus rares.

Je pense que ce déclin est dû aux psychanalystes eux-mêmes, qui ont dédaigné s’occuper de l’évolution délétère de la marche des choses et du monde, pour ne s’occuper que d’eux-mêmes et, beaucoup, se sont convertis en journalistes médiatiques (Françoise Dolto nommait leur espèce, celle des “psittacidés”). Plus grave, ils ne lisent pas les textes fondamentaux et ainsi pérorent n’importe quoi, à l’occasion d’aberrant, continuent de se comporter comme par le passé, en infantiles fixés au stade œdipien (jalousies, rivalités, haines, aussi bien individuelles qu’entre institutions, etc.).

En 1994, nous nous en étions déjà inquiétés, lors d’une réunion anniversaire de l’association, intitulée « Le plateau de répétitions », celui du théâtre du Vieux-Colombier. À mon sens, quels que soient les différents points de vue, ils nourrissent les débats, ont pour objet de faire vivre et évoluer la théorie et la clinique. Plutôt que passer son temps à s’entr’exterminer à coups d’invectives, ma niaiserie d’alors m’inclinait à considérer la psychanalyse et l’art comme représentant les seules disciplines autonomes aptes à faire rempart à l’ignorance délibérée, à ouvrir vers l’avancée d’une civilisation bloquée.

J’étais alors solidement soutenue par mes “tuteurs” éminents, Françoise Dolto et François Perrier. Ils s’en sont allés, le temps qui passe m’a laissée, une seconde fois, orpheline. Bingo pour l’utopie ! 

Micheline

 

14 septembre 2020

 

Comme il en est de nombre de mes contemporains, cette calamité de virus invite à suivre le sens que nous avons choisi de donner à notre vie, c’est-à-dire à continuer, placides, de faire ce que nous estimons devoir faire  [cf. Pensée de Thérèse d’Avila, Palencia 1581, devise de János Starker ci-dessous].

Je viens de lire dans la presse le compte-rendu publicitaire du livre de Benoît Peeters, Sándor Ferenczi • L’Enfant terrible de la psychanalyse, dont l’exergue sur la première de couverture est « Le temps de Ferenczi doit venir », emprunté à un aphorisme de Lou Andreas-Salomé.

Encore un, me suis-je dis.

Dans une interview, l’auteur, honnête, précise qu’il n’est pas habilité à commenter les avancées théoriques de Ferenczi, mais s’est attaché, à partir de documents authentiques, à relater l’histoire du différend noué entre Freud et “l’enfant terrible de la psychanalyse”. Il leur a valu à tous deux un éloignement dont ni l’un ni l’autre ne se sont remis.

Pour résumer, la cause de ce grave différend portait sur la pratique de l’analyse mutuelle psychanalyste-analysant-e, selon une technique active de l’analyste. Or, un point essentiel de cette technique impliquait, écrit Thierry Bokanowski*, que la méthode de permissivité, qui applique « indulgence » et « dorlotage », peut même aller jusqu’aux échanges de tendresse physique tels qu’ils existent entre mère et enfant : s’occuper du patient sur un mode tendre, « jouer » avec lui le rôle d’un parent aimant, permissif et ludique, permettrait ainsi d’endiguer et de neutraliser ses débuts malheureux dans l’existence.

Donc autoriserait un passage à l’acte effectif, annihilant ainsi le maniement par l’analyste du transfert, “moteur de la cure” selon Freud, en ce qu’il favoriserait une relation de séduction réciproque, que le surdoué Ferenczi lui-même, qui m’est cher, au grand dam de Freud, bravant le tabou dont elle était frappée, avait avec courage publiquement dénoncée au sujet des abus sexuels commis par les adultes sur les enfants. Du courage, il en fallait, en ce que parmi les abuseurs auraient été évoqués, implicites, des noms connus de la bourgeoisie cultivée.

Devant l’exposé de la théorie de Ferenczi sur l’analyse mutuelle, dans laquelle le privé et le public s’interpénétraient, la réaction de Freud, fut-elle animée par une réminiscence chez lui des débuts des applications cliniques de sa découverte, quand lui-même et les pionniers de la psychanalyse analysaient les membres de leur famille ainsi que le proche entourage ?

Freud a-t-il estimé que cette interpénétration pourrait être interprétée comme une exhibition de la vie privée ?

Oui, Freud, qualifié jusqu’aujourd’hui encore de “conservateur”, c’est la mode parmi les potins mondains internationaux, maintenait sans conteste devant les candidats à une biographie du promoteur de la psychanalyse, que la vie privée, c’est-à-dire sexuelle, à commencer par la sienne, pimentée d’interprétations sauvages, devait être absolument exclue de toute publication. Sa théorie de la sexualité, au fondement de sa découverte, était la stricte affaire d’une psychanalyse individuelle, d’un cabinet d’analyste, d’un divan et d’un fauteuil.

À ce propos, des critiques justifiées de l’analyse d’Anna Freud par son père, il n’est peut-être pas superflu d’intercaler une pondération de la part d’Anna, qui reconnaît, dans sa correspondance avec Lou Andreas-Salomé, Eva Rosenfeld, Marie Bonaparte, qu’elle cache des choses intimes à Freud au cours des deux sessions de son analyse, en premier lieu sa jalousie irrépressible envers les analystes femmes qui selon elle entretiennent une relation professionnelle trop étroite avec lui.

Il n’est pas inconcevable de penser que Freud n’était pas crédule au point de n’avoir pas perçu que sa fille dérogeait à l’invitation de “dire sans trier tout ce qui vous vient à l’esprit”.

Si le mode d’être de Freud, de vivre, d’exercer, se déroulaient à un rythme biologique patient, selon un héritage culturel éclairé plutôt classique, était-il pour autant intégriste - intellectuels aplatis, nous disons aujourd’hui “bien-pensant” -, lui qui avait promu une méthode inédite subversive de traitement des névroses ?

En annexe, au sujet de la position de Freud envers les femmes, Élisabeth Young-Bruehl, relève cette évocation d’Anna dans les années 70 qui, je la cite, “ … considère toute une partie de la réflexion théorique de Freud comme obsolète, parce que liée à un contexte historique donné…”. Ainsi, Anna énonce : Certaines remarques de Freud concernant l’attitude des femmes vis-à-vis des tâches culturelles sont la conséquence de l’exclusion des femmes de la vie professionnelle à son époque. En tant que description, elles ne sont plus valables à notre époque où toutes les activités professionnelles sont ouvertes aux femmes, dans les affaires, la médecine, le droit, ou à la tête des États.

Mais serait-ce la jalousie non éteinte qui fait omettre à Anna de dire, ajoute E. Y.-B. : “ … comment concilier les remarques de Freud sur l’attitude des femmes à l’égard des tâches culturelles et l’égalité dont ont joui celles qui ont travaillé avec Freud et dans les Instituts de psychanalyse. La réussite professionnelle des femmes analystes - dont sa fille - n’a jamais conduit Freud à revenir sur ses remarques générales. Il n’a jamais avancé non plus que les femmes analystes seraient à la pointe du changement culturel.”

 

Bref, quoi qu’il en soit, je me demande toujours ce qui anime les analystes pour s’exhiber friands d’anecdotes sexuelles privées extravagantes, plutôt que s’occuper de leur propre sexualité. Freud aurait couché avec sa belle-sœur Minna, sinon sous le toit familial, du moins dans leurs voyages en commun. J’en ai déjà parlé ailleurs, n’y reviendrai pas, à ceci près qu’il est vraisemblable que Minna, à laquelle  l’un des meilleurs amis de Freud, Ignaz Schönberg, fut fiancée jusqu’à sa mort prématurée, intéressée par la psychanalyse, se soit prêtée elle aussi à l’expérience d’une analyse auprès de son intrépide beau-frère, lequel, dans sa correspondance avec ses intimes tels Fliess et Ferenczi de préférence, confie les secrets de sa propre sexualité ; le bavardage sur l’amour qu’Anna portait à Dorothy Burlingham, qui serait celui d’une homosexuelle. Or, l’amour, à mon sens, relèverait-il de la différence des sexes ? Son non-accomplissement sexuel ne reposerait-il pas en l’occurrence ici sur l’aptitude à la sublimation, d’autant qu’Anna et Dorothy étaient phobiques du contact corporel, etc.

 

Par contre, en France, peu de témoignages de fond existent sur la teneur dans son œuvre des investigations d’Anna Freud, laquelle ne semble pas digne d’être débattue, commentée, soumise à interprétation. Les lectrices et lecteurs intéressés y trouveraient un précieux petit précis accessible à tous les travailleurs sociaux, intitulé Initiation à la psychanalyse pour éducateurs.

 

* Thierry Bokanowski, « L’acte dans la pratique analytique de Sándor Ferenczi », Revue Française de psychanalyse, 2006/1, pages 55 à 71.

 

 

13 septembre 2020

 

Cérémonie à la mémoire des déportés juifs de France

 

Lettre à un ami non-Juif croyant

 

Paris, le 13 septembre 2020

Cher***

 

J’ai suivi la Cérémonie à la synagogue de la Victoire.

J’ai regretté que, parmi les hautes personnalités présentes, agnostiques, croyantes, non-croyantes, n’y aient pas été conviés les représentants majeurs des autres religions.

Vous comprendrez, j’en suis sûre, la raison pour laquelle, en tant que témoin de mon temps, grâce à Françoise Dolto, j’ai accepté  dès l’âge de 7 ans de rester en vie, afin de me mettre, mais exclusivement par mon travail, au service de celles et ceux, d’où qu’ils viennent, qui souffrent de la folie des humains.

Vous avez entendu, je le sais, la raison pour laquelle le verbe « croire » est quasi exclu de mon vocabulaire personnel. À l’approche de ma fin de vie, j’espère encore, c’est tout.

Avec ma fidèle amitié,

Micheline Weinstein

 

6 septembre 2020

 

János Starker

 

Exergue à un extrait sur la transmission, dans mon prochain livre en cours de publication

Courrier de Gérard Ducourneau, avec le concours de Valérie, documentaliste de l’AMBx

 

János Starker, « celui dont la flamme intérieure gèle l’air autour de lui », comme il se définit lui-même, cache, derrière son apparente rudesse, une sensibilité musicale et une générosité à fleur de peau.

Pour lui, à l’évidence, l’élégance se trouve dans la rigueur et dans le dépouillement. Aucun élément n’échappe à sa vigilance de pédagogue et d’interprète : la position du corps, la respiration, la justesse des mouvements et du son... Chez Starker prédominent la pureté du jeu, l’économie de moyens, la recherche exigeante d’une osmose avec cet instrument rebelle. En 60 ans d’activité musicale, János Starker a ainsi fondé un style, une éthique, une véritable école du violoncelle.

En témoigne son investissement dans le domaine pédagogique, qu’il considère lui-même comme une mission quasi sacrée.

Ce souci de transmettre constitue un élément clé de sa personnalité, de sa philosophie et de sa conception de la musique. Cet homme qui a réchappé de la Shoah lors de laquelle ont péri la plupart de ses proches, déclare ainsi sobrement : « Je sais qui je suis, et je sais ce que je fais. Et il ne s’agit pas d’une forme d’estime de moi-même que je voudrais conforter. Je n’éprouve aucun besoin de m’entendre dire vous êtes formidable ou de recevoir des prix. Seul mon travail m’intéresse, et c’est le souci de la musique et des interprètes de l’avenir qui le guide. Je sers une cause. Je sers une cause pour des raisons personnelles, car le fait que j’ai pu survivre à tant de drames auxquels d’autres n’ont pas échappé, me donne une responsabilité. Un devoir. »

G. D.

 

 

 

ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
© 1989 / 2020